Il y aura désormais cette pointe de nostalgie qui poindra, quand je me dirai que maintenant Tarkovski ne peut plus rien me proposer de nouveau. Je finis (très aléatoirement) mon parcours de son oeuvre par Nostalghia, ce qui n'est pas sans être équivoque.

On retrouve bien évidemment tout ce qui fait un très solide film de ce génie soviétique. Une première scène qui m'a énormément fait penser à la première du Sacrifice, et ce n'est pas la seule qui me fait penser à d'autres films : la scène de la chambre quand la pluie tombe, qui rappelle celle de Stalker ou celle de la chambre du petit dans le Sacrifice. Les rapports à la chapelle, à la foi, et ce prophète-cierge qui scande ses erreurs à l'humanité. Ou cet enfant disant "Papa, est-ce la fin du monde ?" qui m'a immédiatement rappelé le plan final du Sacrifice : "Au commencement était le Verbe, pourquoi Papa ?" Les oeuvres devraient s'appréhender dans l'autre sens, Nostalghia étant antérieure. Mais on voit parfaitement la continuité entre tous les films de Tarkovski, asseyant solidement sa réputation de cinéaste de génie.

Nostalghia, comme son nom l'indique peut-être, a évoqué chez moi une réflexion sur la mémoire. Et peut-être qu'à ce moment-là appeler le spectateur à ses oeuvres antérieures participe de cette réflexion sur l'oubli et le souvenir. Comme dans le Miroir, le personnage principal fonctionne par souvenirs. Le temps présent se reconnaît parce que l'image est en couleur; le temps souvenu est en noir et blanc ou dans un sépia très pâle. Il n'y aura qu'à la scène finale où le personnage, âgé du temps présent, est en noir et blanc, accompagné de ce fidèle berger allemand qui le suit tout au long du film, comme un medium, une marque indélébile du temps et de l'inscription de l'être dans le temps.

Domenico, le prophète, semble être l'anti-souvenir. Il ne se souvient qu'au fur et à mesure de ses 7 ans où il a enfermé sa famille, craignant la fin du monde. Sur le mur de sa maison, il a écrit 1+1=1 : est-ce pour asséner une vérité qu'il croit bien profonde, certaine ? Tout comme il savait que la fin du monde arriverait...?

Nostalghia est le premier film sorti par Tarkovski dans sa période d'exil. Le personnage principal s'appelle André, et paraît bien loin de sa terre natale russe en Italie : aussi le souvenir doit-il être quelque chose d'assuré, qu'il doit chouchouter, ne jamais oublier. Les poèmes d'Arsène Tarkovski, ou même ce berger allemand lui permettent de ne pas oublier. Et cette scène finale où il tente, comme marchant sur un fil, d'amener d'un bout à l'autre d'une piscine un cierge sans que celui-ci ne s'éteigne : c'est son identité, ses souvenirs, sa vie qu'il tient entre ses mains, qu'il essaie d'amener d'un bout à l'autre de son existence, d'un bout à l'autre du monde, de la Russie à l'Italie. Mais tant Domenico qu'André, tous les deux prophètes en leur pays, vont parvenir à leurs fins, et mourir dans la perfection de leur souvenir.

Moins obscur que les autres films de Tarkovski, mais tout aussi esthétique, Nostalghia se savoure, se déguste, se laisse apprivoiser. Et on souhaiterait que ces allers-retours finaux d'André durent davantage que dix minutes...

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le 12 août 2014

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Alexandre G

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