Our Day will come... I came.
Déjà au courant de la réputation de Romain Gavras, et ayant déjà vu la plupart de ses réalisations, telle que le culte clip de Justice, Stress, je me doutais que Notre Jour viendra ferait partie de ces films complètement barrés où rien et pourtant tout est à comprendre, à interpréter, à imaginer, avec un scénario loufoque qu'on pourrait croire écrit sous acide. De plus, l'affiche intrigue, attire, avec un Vincent Cassel et un Olivier Barthélémy rasés à blanc sous un filtre rouge puissant.
L'histoire débute dans un petit village du Nord, le genre d'ancien village de mineurs de fond, avec un ciel gris, très lourd, et des successions d'images plutôt clichées : un port de containers, des maisons en brique rouge tristes et fades, un monument aux morts sur lequel est gravé "Dieu et Patrie". Le tout sous une musique grave au piano, avec des faux airs de film d'horreur des années 50. On pense que le ton est tout de suite donné, mais le film est en réalité bien plus étrange qu'on ne peut l'imaginer. Ainsi, on se retrouve chez Rémy, interprété par Olivier Barthélémy, un roux, détesté par sa sœur, par sa famille, et, en fait, par tout le monde, parce qu'il est roux. On passe les quelques détails avec la petite amie virtuelle de Rémy et les douches après le match de foot pour se téléporter directement dans le cabinet de Patrick, joué par Vincent Cassel, un psychanalyste roux je m'en foutiste, un peu barré, en rage contre la société actuelle et l'homme moderne. Patrick et Rémy se rencontrent donc par un curieux hasard, avec Rémy fuguant de chez lui, et partent vagabonder dans la région au rythme de leurs péripéties. Mais les deux hommes vont plonger peu à peu dans la folie, la vraie, et la paranoïa, et leur seul but va être de rejoindre la Terre Promise : l'Irlande. Après un résumé je pense assez incompréhensible, je pense que vous pouvez avoir une petite idée du scénario complètement décalé du film. Les évènements s'enchaînent d'abord doucement, et le scénario de départ, bien que ne cassant pas des briques, intrigue un peu mais traîne en longueur. Et c'est ensuite diverses péripéties qui accélèrent la folie et rendent le film de plus en plus barré et étrange, dans un phénomène de spirale où les évènements s'enchaînent de plus en plus rapidement, jusqu'à même parfois ne plus comprendre grand-chose (c'est le but, de toute façon). On aime ce genre de grotesque assumé, ou on reste trop terre-à-terre et l'on n'aime pas, c'est au choix. Le spectateur a également le choix de comprendre le film comme il veut grâce aux nombreuses métaphores et aux passages plus qu'étranges qu'ils lui conviendront d'en penser ce qu'il voudra et d'interpréter comme bon lui semblera. De plus, la fin ouverte laisse libre cours à l'imagination du spectateur. Une sacrée réussite pour la fin, et chapeau bas à monsieur Gavras : on adore, tout simplement.
A l'instar du scénario, les dialogues sont pour la plupart complètement barrés, avec du racisme à outrance, de l'antisémitisme, de la psychanalyse douteuse, des insultes, et des phrases finalement assez dingues lorsque les deux compères s'enfoncent mutuellement dans leur folie. Parfois ça dégoûte, parfois c'est fade, parfois ça fait peur, parfois on adore.
En accompagnement on a droit à une bande son simplette avec principalement du piano ou de la trompette, mais avec des mélodies qui font tout de même leur effet, de par leur simplicité (ne vous attendez pas à un orchestre, vous n'aurez jamais plus de cinq instruments en même temps, et la plupart sont d'ailleurs seuls ou accompagnés d'un seul autre instrument) et pour certaines par leur étrangeté. On retiendra surtout la dernière scène du film, déjà en elle-même superbe, mais accompagnée par une musique sublime qui vous transporte et vous fait vibrer.
Enfin, on saluera également le jeu d'acteur brillant, avec un monstre du cinéma que tout le monde connaît déjà pour le culte La Haine, vous l'aurez deviné, Vincent Cassel. Habitués par ses prestations excellentes, on ne sera pas déçus de le découvrir en psychanalyste fou, à la fois répugnant et attachant, où il nous fait découvrir une nouvelle facette de son talent. Olivier Barthélémy quant à lui, acteur pour le moins inconnu au bataillon, habitué aux seconds rôles vite oubliés et au petit écran, nous délivre une performance remarquable, bien que ce ne soit pas son premier rôle au cinéma, mais le premier en tant que personnage principal. Un acteur qui en vaut la peine et qu'on espère revoir dans d'autres rôles moins décalés.
Romain Gavras nous montre ici une œuvre remarquable, qui reste dans les mémoires (pour sa nullité ou sa splendeur, selon les goûts de chacun) et nous livre des personnages à la fois répugnants et touchants, qu'on se met à détester et à adorer en même temps. Le tout avec un scénario qui, sous ses aspects loufoque et décalé, nous offre une vision malsaine de la société, de l'homme moderne, et montre le désespoir des personnes au ban de la société. On assiste impuissant à l'horreur de la nature de l'Homme moderne, modelé par la société de consommation. Un film affreux et superbe.
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