Un film qui avait tout pour être casse-gueule, surtout après l’accident terrible qu’a été Le Redoutable quant à retracer une partie de la vie de Jean-Luc Godard mais aussi d’avoir le point de vue d’un américain sur la Nouvelle Vague, qui a souvent tendance à s’en faire une fausse idée, et pourtant, à ma grande surprise, il y a ici quelque chose d’authentique qui s’en dégage..


Linklater fait de la production et du tournage d’À bout de souffle une pure chronique de cinéma, où l’intérêt réside dans le mimétisme assumé et l’aventure d’une création opportune, l’erreur aurait été d’y insinuer un fond ou une morale à tout ça, la pire faute critique serait de sortir de ce film en se disant que ça ne raconte rien. Et c’est en ce sens que Hazanavicius a tout raté, allant portraitiser Godard dans une volonté de fiction représentative, quitte même à singer ses gimmicks de réalisation, tandis que Linklater se fond dans le contrechamp de l’époque et le mouvement qu’a été la Nouvelle Vague, où la simple scolarité empruntée au documentaire seront ces cartons nominatifs des protagonistes de son histoire qui introduisent certaines scènes. On y voit le jeune JLG, qui de peur de louper le train lancé par Truffaut et Chabrol va se jeter dans le grand bain pour enfin réaliser son premier long métrage, déjà cynique et friand de confrontation, l’acteur l’incarnant réussi la prouesse de nous faire oublier le décalque, tout comme les autres d’ailleurs, évitant la caricature par la simplicité de la mise en scène capturée dans l’épure du noir et blanc. On croit très vite aux personnages bien qu'il y aurait à redire sur certains dialogues manquant cruellement de spontanéité, notamment les conversations repues d'aphorismes entre les amis grattes-papier des Cahiers, mais bon..


J’ai aimé cette façon de représenter un tournage comme une petite entreprise artisanale qui tourne, ses difficultés, ses risques, ses délais de production, avec un côté anarchique qui s’insinue, comme embaucher un photographe de guerre à la bobine alors qu’on prend une starlette comme premier rôle féminin, de dissimuler une caméra pour filmer incognito les Champs-Élysées dans un triporteur ou de montrer les femmes au montage comme des couturières, c’est à la fois ludique et authentique. Il y a aussi quelques petits moments délectables, notamment par l’alchimie entre Belmondo et Seberg, s’adonnant à un jeu complice pour combler l’absence de son, des prises de vue express par économie de temps, pour mieux flâner au bar, ou de simples passants jouant leur rôle pour la scène finale par soucis de réalisme. Scène qui d'ailleurs prend le parti de déléguer à Jean Seberg l'impro de la réplique la plus iconique d'À bout de souffle, n'étant pas avérée mais collant à la méthodologie éprouvante du tournage. Et en même temps j'apprends des choses, comme l'anecdote du redoublage de Charlotte et son Jules dont je me suis toujours demandé pourquoi Godard posait sa voix sur Belmondo, et bien parce que ce dernier était en Algérie au moment de la post-prod, je veux dire, il y a un vrai soucis du détail qui n’est pas vain, s’adressant autant au spectateur profane qu’à l’érudit.


D’un sens le film est un peu ce qu’était Godard, du moins en public, à savoir un moulin à citations, et Nouvelle Vague cite sans arrêt, par des phrases, des contextes, des personnages, sans trop chercher à se les réapproprier pour faire le malin mais à les imbriquer pour créer son propre filon, dans le cas de Linklater une reproduction, se permettant tout de même quelques détours, comme l'intervention des patriarches (ici Rossellini, Melville et Bresson) afin de guider le petit génie. Je dirais que l’intérêt principal du film est le fait de montrer de la part de Linklater qu’il est aux antipodes de Godard, que lui est un cinéaste appliqué et soumis à une multitudes de codes tandis que le modèle qu’il dépeint est un électron libre aux velléités révolutionnaires, il a d’ailleurs lui-même avoué en interview qu’il ne laissait aucune place à l’improvisation, d’où l’exercice de style qu’il se donne pour rendre hommage à quelqu’un qu’il ne sera jamais. D’ailleurs on se fiche un peu de savoir si il aimait ou non Godard, Hazanavicius prétendait qu’il l’adorait alors que son film témoignait l’inverse, on y voit juste un jeune réalisateur au travail voulant prouver à ses compères des Cahiers qu’il était le meilleur d’entre eux, et c’est drôle de voir cette rivalité à l’écran, la course à celui qui fera le film le plus « dégueulasse » après les 400 Coups et le Beau Serge, autrement dit qui sera le plus à même de déconstruire le cinéma.


Et Nouvelle Vague reconstruit ce que sont aujourd’hui les fragments d’une histoire de cinéma, ce que l’on a peut être perdu, une certaine nostalgie de la simplicité et de la créativité effervescente qu’il serait désormais quasi impossible à reproduire. Le film de Linklater n’a pas pour but de changer quoi que ce soit mais d’être le témoin indirect d’une époque qui a existé, que c’est possible, comme une bouteille à la mer dans un océan de formats interchangeables.. l’ironie étant que ce soit produit par Netflix.


Reste que j’ai maintenant follement envie de revoir À bout de souffle, mission accomplie pour Nouvelle Vague

JimBo_Lebowski
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