« C’est pas en suivant les règles que j’arriverai où je veux aller » (JLG pas encore JLG)

« Moteur Raoul

Ça tourne Jean-Luc »


En utilisant cet échange entre Godard et Coutard tel un gimmick Richard Linklater montre bien quel ton il a choisi pour aborder ce carnet de bord, celui d'un film culte, "À bout de souffle". Comme s'il considérait que le cinéma est à la fois ce qu'il y a de plus important au monde mais aussi quelque chose de pas sérieux, il s’amuse comme Godard, il ne cherche pas à sonder l’homme, par ailleurs insondable, il préfère sourire de ses sempiternelles citations, de ses aphorismes, de ce gars des Cahiers au carnet qui pleure d’être le dernier à devenir réalisateur, qui parle du court métrage comme de l’anti-cinéma alors qu’il en fera des tonnes, qui navigue à vue et rend fous ceux qui l’ont suivi dans cette folle aventure. Nul doute qu’il admire follement celui qui décida de couper dans les scènes au lieu de couper les scènes, qu’il regarde avec une infinie nostalgie ce temps de la vie où on ne fait de courbette à personne, qu’ils s’appellent Rossellini, Bresson ou Melville, alors même que leur travail a été le terreau du nôtre.


Les faiseurs de biopics, d'œuvres historiques s’appliquent souvent à appuyer la temporalité, à faire résonner par tous les artifices à leur disposition une forme de « Il était une fois », Linklater lui, en tant que grand spécialiste du temps qui passe au point d’en avoir fait l’axe central de son cinéma, ne fige rien, au contraire il fait tout pour faire de son récit un plaisir au présent, comme un pont qui mesurerait 65 ans, entre créateur-spectateur d’hier et d’aujourd’hui. Sans révérence, juste comme un « Merci pour tout ! » empli d’admiration complice et de tendresse. De même en règle générale embarquer dans une machine à remonter le temps rime souvent avec solennité, gravité factice. Linklater choisit la simplicité, la candeur, ce qui dit beaucoup de lui, de la fraîcheur avec laquelle il continue à aborder son métier-passion.


Rares sont les cinéastes qui réussissent leur coup loin de chez eux et c’est peut-être justement parce qu’il est étranger que Linklater signe le meilleur film français de l'année, qu'il dépoussière notre cinéma, ne serait-ce qu’en n’engageant aucun visage réellement identifié, aucun nom bankable. En quelque sorte il casse le processus des portraitistes qui pensent que l’incarnation passe par le grimage ou des numéros entre Laurent Gerra et singe savant. Donc ni de Marion Cotillard ni de Tahar Rahim, mais des seconds rôles ou même des figurants qui deviennent progressivement dans le regard des spectateurs Godard, Belmondo, Seberg, Truffaut. Ou plutôt le Godard, le Belmondo, la Seberg, le Truffaut nichés dans la mémoire de chacun et non ceux que nous imposerait un maquilleur. Linklater s’appuie sur le pouvoir du cinéma, sur sa magie, devenant illusionniste et non ventriloque.


On pourrait croire que ce film est destiné aux fétichistes et pourtant connaître "À bout de souffle", la Nouvelle Vague n’a rien d’indispensable car c’est avant tout un film sur la passion du cinéma dans ce qu’elle a de plus ingénue, sur la jeunesse, merveilleux âge de l’insouciance et de l’insolence.


« Voir des films me délivre de la terreur de la vraie vie » (François Truffaut)

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le 12 oct. 2025

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