Avec ce film, c'est clair et net, Lars von trier nous prend et nous retourne. Je l'ai vu hier et j'y repense sans cesse depuis. C'est fou, je m'attendais à un « simple » objet de provoc, et je réalise que dans ce film il y a presque tout : de la brutalité, de la douceur, de la profondeur, de la légèreté, de l'amour, de la solitude... Pour quelqu'un qui pensait qu'on aurait juste droit à des péripéties sexuelles gratuites et glauques, autant dire que je suis extrêmement surprise. Déjà, ce qui fait la force du film, c'est la perfection avec laquelle LVT maîtrise l'art de la narration et du suspense. La scène d'ouverture nous montre la couleur... On commence avec des travellings d'une lenteur et d'un calme déstabilisants, pour, subitement, être tirés de cette torpeur par un morceau de métal qui nous explose aux oreilles. On passe de la tranquillité inquiétante à l'incompréhension effrayante, et ça y est, on est plongé dans un bain dont on n'a aucune envie de resortir. Ensuite, le film se déroule sous la forme d'une discussion entrecoupée de flashbacks en puzzle qui s'avère totalement captivante. Le découpage des épisodes est bien choisi, les dialogues entre les deux personnages qui en parlent ne sont pas artificiels mais apportent une dimension tantôt ludique, tantôt émouvante et tantôt poétique au récit de la vie de cette femme qui n'a fait que s'autodétruire. Oui, car contrairement à mes (maigres) attentes, il y a de l'introspection. Ce film, la manière dont il est monté, tout cela a un sens que je n'aurais pas osé espérer : on essaie de comprendre comme cette femme en est arrivée à se haïr autant. Il y a du descriptif : on suit son parcours, ses premières expériences sexuelles, les réussies et les ratées, on suit la construction de son rapport au sexe. Mais, en parallèle, on a aussi quelques scènes qui nous offrent des bribes d'interprétation. Rapidement (et à la différence d'un film comme Jeune et jolie par exemple, qui évoque certains thèmes semblables), ce personnage nous touche, il nous bouleverse. On n'est pas dans l'unique registre froid et contemplatif. Oh non, et parfois on est même surpris de passer par des émotions aussi transcendantes, comme lors de la scène où Joe évoque sa solitude. Pour autant, si LVT nous donne le moyen d'humaniser et d'entrer en empathie avec son personnage, ôtant donc au film une certaine gratuité apparente, il ne tombe pas non plus dans le prémâché -même si les explications qui s'amorcent semblent assez basiques-, le pathos ou le niais. Les passages introspectifs ne sont jamais en décalage avec le reste. Ils sont justes « justes ». Pour les scènes de sexe, je ne vois pas grand chose dont on pourrait se plaindre. Elles nous présentent une palette de sexualités très large et approfondie, je trouve le film sincère et crédible là-dessus (plus que La vie d'Adèle par exemple puisque j'en suis à comparer). Je reste subjuguée par la prestation de Stacy Martin, qui fait corps avec son personnage au charisme magnétique. Et que dire de Shia Laboeuf ? Je ne le connaissais pas sous cet angle mais je crois que sa carrière de grand acteur est définitivement lancée. D'ailleurs, certaines scènes sont si envoutantes que cela en devient perturbant, c'est pour ça que la fin du film est hallucinante de maîtrise : après nous avoir plongé dans une scène captivante, forte, intime et lourde de symboles, on nous coupe net. Si bien que nous aussi, spectateurs, sommes en en quasi-situation d'addiction, nous sommes entièrement remis à la fiction, et l'idée qu'il faille attendre un second volet pour voir la suite paraît horriblement frustrante voir insurmontable. Enfin, ce film, même s'il son propos est assez lugubre et dur, est aussi emprunt d'une grande sensibilité et d'une certaine douceur. La présence de ce vieil homme comme interlocuteur est une belle trouvaille car il apporte une bienveillance à la fois décalée et agréable au milieu de scènes qui relatent une histoire fort pessimiste. À l'inverse de certaines scènes, la narration n'est jamais sévère avec l'héroïne grâce à ce vieux qui, par ses mots et ses métaphores, ne cesse d'humaniser l'héroïne qui se pense pourtant inhumaine. Et c'est très beau ! Je ne pensais vraiment pas dire ça, mais Nymphomaniac contient à peu près tout ce que j'attends d'un film quand je vais au cinéma. Vivement la suite.
Anna_M
9
Écrit par

Créée

le 13 nov. 2014

Critique lue 284 fois

1 j'aime

Anna_M

Écrit par

Critique lue 284 fois

1

D'autres avis sur Nymphomaniac - Volume 1

Nymphomaniac - Volume 1
Fritz_the_Cat
3

Vice de forme

A deux reprises, le nouvel opus du Danois est un grand film. Son ouverture en premier lieu, amorcée par un long plan où n'apparaît qu'un écran noir. Portée sur quelques détails urbains envahis par la...

le 1 janv. 2014

82 j'aime

49

Nymphomaniac - Volume 1
Krokodebil
8

Manon Lescaut

Nymphomaniac, ou le plaisir du contre-pied. Attendu au tournant et précédé d'une promotion délibérément pompeuse et choquante, le dernier film de Lars Von Trier (du moins sa première moitié) est en...

le 7 janv. 2014

79 j'aime

18

Nymphomaniac - Volume 1
Sergent_Pepper
8

Sexe : prétexte, sous texte, intertextes.

On sait depuis longtemps à quel point LVT est un être malin et sournois, jouant habilement de la manipulation, de ses comédiennes ou de son public. Au terme d’une campagne plus qu’active pour son...

le 2 janv. 2014

61 j'aime

25

Du même critique

Les Quatre Cents Coups
Anna_M
4

Critique de Les Quatre Cents Coups par Anna_M

Film sympa d'un point de vue historique : il nous plonge dans l'éducation (scolaire et familiale) des années 60 et le rapport enfants-parents encore très impersonnel à l'époque. De plus les jeunes...

le 12 nov. 2014

17 j'aime

2

La Femme d'à côté
Anna_M
5

Critique de La Femme d'à côté par Anna_M

Ah, Truffaut et ses histoires d'amour impossible ! Si Jules et Jim m'avait complètement transportée, La femme d'à côté ne m'a pas vraiment touchée. Je ne sais pas, quelque chose manque. Je trouve...

le 13 nov. 2014

15 j'aime

Summer of Sam
Anna_M
10

Critique de Summer of Sam par Anna_M

Depuis le temps que j'avais envie de voir un film jouissif ! Je ne pouvais pas être mieux servie. Summer of Sam est mon préféré des 3 films de Spike Lee que j'ai vus pour l'instant (et la barre était...

le 13 nov. 2014

8 j'aime

1