Medium Cool commence comme il se finira : sans préciser si l'on voit un film scénarisé ou un documentaire.

Un klaxon retentit sans discontinuer, un cameraman d'une chaine d'infos et un preneur de son filment une voiture accidentée. A l'intérieur, une passagère, en train de vivre ses derniers instants. Afin de mieux capter les derniers soupirs de celle ci, le preneur de son éteint le klaxon. Une fois repus, les 2 hommes repartent dans leur voiture, garée 20m plus loin. "Better call an ambulance", concluent-ils.

L'idée de départ du film vient de Wexler qui, alors qu'il tournait un film au Vietnam, a vu sous ses yeux un paysan perdre une jambe sur une mine anti-personnel. Son 1er réflexe fut de courir près du lieu, caméra allumée, et de filmer cela. Il en dira plus tard que 2 émotions contradictoires se sont élevées en lui à ce moment précis : la 1ere était "je viens de filmer un truc incroyable" et la 2e était de poser la camera pour aider les personnes qui filaient un coup de main au paysan. Cette réflexion sur la notion d'implication du journaliste est le coeur de Medium Cool : à quel moment le journaliste est spectateur et à quel moment il doit s'arrêter s'observer et devenir acteur.

Toute la beauté du film est de constamment jouer là dessus : qu'est-ce qui est scripté ? Qu'est-ce qui est joué ? A quel moment a-t'on des acteurs mis dans une situation réelle et à quel moment des personnes réelles sont dans le film ?
C'est par contre dommage qu'il est inclut dans le film une romance entre notre journaliste et une mère célibataire (accompagnée de son fils de 8 ans, rapidement insupportable car moteur de digressions qui tiennent parfois du deus ex machina pourri), car cela éloigne le film de tout ce jeu réel/film vers quelque chose de bien moins intéressant.
Si l'on fait abstraction de cette partie, Wexler joue de l'absence de repères clairs sur ce qui est scénarisé et le fait d'une manière assez virtuose, un coup camera à l'épaule, un coup plan large bien calé, un coup au fish eye, manipulant l'image et le montage (visuel comme sonore) pour brouiller la frontière au maximum.

Jusqu'au moment où l'on finit par se demander clairement : "Mais ça a été filmé comment, bon dieu ?" La convention démocrate est-elle reconstituée ? Ont-ils obtenu la possibilité de filmer depuis les balcons, comme des journalistes ?
Et puis, il y a ce final dans les manifestations de 68 à Chicago, ville du film, représentative de l'époque changeante dont Medium Cool discute : ses hippies, ses communautés, et malheureusement, ses manifestations réprimées par la violence des policiers. A ce point du film, Medium Cool a depuis longtemps établi ses racines dans une société au bord du chaos, de la violence, capturant la délicate et tendue situation politique et sociétale de l'époque. Les échos des assassinats de martin Luther King et Robert Kennedy résonnent dans le film à de nombreuses reprises, tout comme ces manifestions d'une contre-culture qui deviendra bientôt une sous-culture.

C'est dans ces manifs que Hexler et son équipe va filmer, envoyant ses acteurs traverser réellement la manif, bien réelle, lui derrière en train de manoeuvrer la caméra. On se dit "C'est pas possible, c'est scripté, c'est des figurants". Mais non. "Look out Haskell, it's real !" entend-on, dans cette rupture du 4e mur créée au montage où la fiction ne dépasse pas la réalité, mais s'y fond, fusionne avec elle : les lacrymogènes étaient bien réels. L'avertissement, lui, a été ajouté au montage.

Et c'est là précisément le coeur du film, ce qu'il interroge constamment de tout son être : la frontière entre ce qu'est le journalisme et le spectacle. Au début du film, on suit au détour d'une séquence un groupe de gens discutant, dans ce qui semble être une soirée un peu chic, du journalisme, de son influence, de ses conditions de travail. Cette séquence sert d'ouverture de boucle dans le sens où elle explicite clairement cette question du journalisme-divertissement : la nécessité, pour capter l'audience, d'aller au-delà du simple fait, mais d'y ajouter une dramaturgie, un background, un sensationnalisme. Certains sont intéressés par le pourquoi, d'autres le comment. Dans les 2 cas, le journalisme décrit va au-delà du simple rapport de faits, de la pure information, mais va via un traitement subjectif aux objectifs de la rédaction.

De ce fait, le plan final, qui renvoie à la déconstruction que Godard opérait déjà dans Le mépris 5 ans plus tôt via son générique, boucle cette boucle en voyant Wexler tourner sa caméra vers le spectateur et renvoie directement à cette réflexion : est-ce vrai ou faux ? est-ce factuel ou est-ce spectacle ? Ou, pour reprendre les mots du preneur de son lors de la soirée introductive : le journaliste doit-il être acteur, ou simplement l'extension des cameras et magnétophones qu'il utilise ? Cinédocuvéritédocuciné.
Remy_Pignatiell
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le 20 oct. 2013

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