Un film que je vais avoir du mal à défendre, mais un film que j'aime beaucoup.


Pourquoi ?


Parce que Soderbergh, qui est un petit malin, prend le prétexte du genre - le film de casse, avec ses codes, ses scènes attendues, ses balises bien définies (on examine la scène, on prépare le plan, le plan foire en dernière minute, on réévalue, on triomphe) - pour expérimenter librement, tranquillement, en se contrefoutant totalement des contraintes d'un film de studio ultra calibré. Photo volontairement granuleuse et dégeulasse, cadrages à l'épaule, montage asmathique : on salit, on détourne, on pervertit. Pas sûr d'ailleurs que ses comparses Clooney, Pitt, ou Damon, aient été au courant ou aient saisi l'enjeu final. Et vu comment ils renient le film, probablement pas.


On attend le casse, la péripétie spectaculaire, le grand frisson, le plan qui se déroule sans accroc. Au final ? Rien. Rien ne se passe comme prévu, le casse est aux abonnés absents, le spectaculaire est chassé avec une batte de base-ball, les personnages principaux sont tous des losers pathétiques complètement largués (en apparence). Les moments fort du film ? Une baston dans un train cadrée comme un film de Paul Greengrass, une danse de gymnase au milieu des lasers.


L'anti-blockbuster par excellence, qui empapaoute le spectateur puissance dix, en lui faisant croire qu'il a toujours une longueur d'avance alors qu'au final il s'est lui aussi fait berner comme un malpropre. Et le public agacé, pris en défaut, se sent comme le personnage de Linus (Matt Damon) : complètement largué, avec l'impression perceptible et fort désagréable qu'on se fout copieusement de sa gueule.


Bien sûr, tout est bien qui finit bien (assez artificiellement, d'ailleurs), le scénario est parfois bancal (quoi qu'à le revoir, ça tient plutôt bien la route), bien sûr, le côté bande de pote ultra cool peut agacer (encore que je ne vois pas pourquoi il serait interdit de se fendre la gueule sur les tournages), bien sûr, quelques moments comiques ou d'émotion tombent à plat (le début, atroce) et les caméos willisiens ou robertsiens énervent plus qu'ils ne servent le film. Mais là encore, ce sont des leurres, des lièvres destinés à occuper le public pendant qu'il se fait lui aussi enfumer, là, directement sous son nez. Nous sommes plus que jamais le dindon de la farce.


Voir un petit malin (car Soderbergh l'est, définitivement, ce qui agace incroyablement ceux qui ne l'aiment pas) jouer avec les codes du blockbuster en plein film familial, déstructurer, détricoter le divertissement à coups de millions de dollars, tout cela a un côté sale gosse qui casse ses jouets qui me réjouit prodigieusement.


Le cinéma n'est jamais aussi marrant que quand il est ludique, qu'il essaie de se réinventer, de s'auto-regarder le nombril, quand bien même le résultat n'est, comme ici, pas impeccable et loin de la perfection. Soderbergh rangera d'ailleurs rapidement ses outils pour revenir dans un troisième épisode pour le coup aussi aseptisé, prévisible et gentiment empaqueté que le premier Ocean's Eleven.


Pas un grand film, donc, mais un film à revoir la tête reposée, en acceptant de se laisser avoir, et en se disant que tout ça, au final, c'est très inoffensif.

Prodigy
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le 7 mai 2010

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Prodigy

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