Sergueï, qu'allas tu faire dans cette galère ? Tu aurais du écouter Dumas : quitte à violer l'histoire, il fallait au moins lui faire de beaux enfants ! Roi du pamphlet, étais-tu vraiment le mieux placé pour réaliser un film de commande destiné à brosser dans le sens du poil une dictature qui prenait son essor, et qui voulait s'auto-congratuler dix ans après un coup d'état qui prenait l'eau de toute part ? 1927, sale année ! A la tête du Politburo, Staline met les bouchées doubles, Kamenev, Zinoviev et Trotsky en payent le prix, Lounatcharski n'en a plus pour longtemps au Narkompros. Il est des compromis qui tournent vite en compromission.

Oh Sergueï, c'est qu'on te sent un peu gêné aux entournures, à devoir faire un joli livre d'images autour d'un sale panier de crabe. Tu fait courir des gens dans tous les sens, lever des bras, froncer des sourcils, mais le cœur n'y est pas vraiment, camarade. Un très long recensement de gesticulations, des images comme volées au temps qui passe trop vite, des occasions manquées, des rêves pris en otage pour l'ivresse de pouvoir de quelques uns. Mais plus de folie, plus de passion, on dirait que tu fait ça de loin déjà... De guerre lasse...

Bien sur, tu as du métier, et du savoir faire. Un vieillard qui joue de la harpe sur un paravent en verre, une soldate soudain émue par la richesse des tsarines, des bouteilles qui explosent comme des cœurs trop pleins... mais c'est de l'histoire ancienne, ça ne peut pas vraiment te parler tout ça. Du moment où Lenine annonce que la révolution commence, toi, impatient d'arrêter le massacre, tu écris en grosse lettre : FIN.

Ton coup de génie, il est au début du film, dans la marge des événements à venir. Un ouvrier qui s'égare et se fait attaquer par des bourgeois déchainés, pendant qu'un pont s'ouvre en deux comme un monde qui éclaterait à jamais, séparant pour toujours les riches d'avec les pauvres. Au milieu, un cheval blanc, mort, qui n'en finit pas de tomber... un éclair, puis la nuit !
Chaiev
6
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes Muets d'admiration, Résumons-nous : Sergueï Eisenstein et Perec et le pot au lait

Créée

le 27 déc. 2010

Critique lue 1.2K fois

42 j'aime

69 commentaires

Chaiev

Écrit par

Critique lue 1.2K fois

42
69

D'autres avis sur Octobre

Octobre
Docteur_Jivago
6

10 jours qui ébranlèrent le monde

Pour fêter le 10ème anniversaire de la révolution de 1917, l'État commande une oeuvre à Sergueï Eisenstein, ayant pour but de glorifier la chute du tsar et la mise en place d'un État...

le 15 mars 2015

29 j'aime

8

Octobre
Sergent_Pepper
7

Foule monumentale

L’œuvre entière d’Eisenstein est inféodée à un contexte, et sert les intérêts soviétiques. Mais Octobre est son film qui, très clairement, en souffre le plus. Œuvre de commande pour les dix ans de...

le 2 déc. 2020

15 j'aime

1

Octobre
Hélice
6

Critique de Octobre par Hélice

Note assez subjective, mais tout de même. Peut-être ai-je été gênée par les ronflements de mon voisin de devant, ou par ceux de mon voisin de derrière, par les gargouillis du ventre de mon voisin de...

le 26 déc. 2010

13 j'aime

Du même critique

Rashōmon
Chaiev
8

Mensonges d'une nuit d'été

Curieusement, ça n'a jamais été la coexistence de toutes ces versions différentes d'un même crime qui m'a toujours frappé dans Rashomon (finalement beaucoup moins troublante que les ambiguïtés des...

le 24 janv. 2011

281 j'aime

24

The Grand Budapest Hotel
Chaiev
10

Le coup de grâce

Si la vie était bien faite, Wes Anderson se ferait écraser demain par un bus. Ou bien recevrait sur le crâne une bûche tombée d’on ne sait où qui lui ferait perdre à la fois la mémoire et l’envie de...

le 27 févr. 2014

268 j'aime

36

Spring Breakers
Chaiev
5

Une saison en enfer

Est-ce par goût de la contradiction, Harmony, que tes films sont si discordants ? Ton dernier opus, comme d'habitude, grince de toute part. L'accord parfait ne t'intéresse pas, on dirait que tu...

le 9 mars 2013

244 j'aime

74