Fable douce-amère au carrefour du temps

Il arrive, parfois, de s’égarer dans le temps et dans ses pensées, de laisser se mêler passé, présent et futur, devenir spectateur du monde. C’est aussi l’effet que nous provoquent certains films, qui semblent intemporels, universels, humains, tout simplement. Une démarche sincère, qui nécessite souvent de prendre du recul, mais qui parvient à nous toucher au fond de nous. Une démarche qui se retrouve dans Old Love.


Souvent, parmi les films coréens les plus estimés et les plus appréciés, on retrouve des films à la réalisation assez nerveuse et énergique. On a, en quelque sorte, tendance à avoir pris cette habitude. Force est de constater qu’Old Love est totalement étranger à cette dynamique. Ici, le temps s’écoule lentement, les dialogues sont éclatés, la parole économisée. Le temps est laissé au temps, car c’est surtout du temps qu’il est question ici. En effet, les retrouvailles inopinées entre les deux protagonistes va ouvrir la voie vers de multiples questionnements sur ce qui s’est passé depuis tout ce temps, sur ce que l’on est devenu, sur ce que nous sommes et sur ce que nous voulons réellement. Se dessinent, soudainement, toutes les ramifications de notre existence, celle que nous avons vécue, mais aussi celle que nous aurions pu vivre.


Old Love associe l’onirique et le réel pour alimenter la confrontation entre l’hypothétique, l’imaginaire, et le factuel. On accompagne les deux personnages principaux, on découvre leurs vies respectives, tout en ayant la sensation d’être dans le même cadre qu’eux, intégrés dans ce quotidien qui s’anime autour d’eux. Il y a, dans cette démarche, une véritable volonté de rendre les faits authentiques, de ne pas les placer dans le cadre d’une simple histoire fictive, mais bien dans celle de deux personnes comme les autres, auxquelles ont peut parfaitement s’identifier. Lent, contemplatif et nostalgique, Old Love réconcilie deux âmes vagabondes perdues sur les sentiers du temps. Le refuge dans les souvenirs, l’altération des idéaux, le vertige du temps qui passe, dans une esthétique crépusculaire et hivernale.


Le film se déroule à la fin du mois de janvier, période où les coréens fêtent le nouvel an. Le froid, le gris et la lumière hivernale permettent d’alimenter le côté statique du film, pour mieux l’affranchir des règles du temps. Le nouvel an, c’est aussi une période de bilan, où l’on se remémore les souvenirs de l’année écoulée avant d’attaquer la nouvelle année, pleine de promesses et d’espoirs. Tout, dans ce film, tourne autour de carrefours. Une rencontre à l’aéroport, un tête à tête dans un restaurant, un passage dans une gare, dans un magasin… Autant de lieux où l’on vient et où l’on part, où les gens se croisent et se quittent, où le temps ne s’arrête jamais et où les vies défilent. En fin de compte, nous ne sommes que des passagers, avec des attaches certaines, mais où les repères finissent souvent par s’estomper et changer. Comme peut le suggérer la fin du film, tout cela n’était peut-être qu’un rêve, fruit d’une nostalgie qui nous a enfermé dans des souvenirs confortables, nous abritant face à une réalité déplaisante.


Old Love prend son temps, et préfère adopter un regard lucide, presque documentaire, sur la vie et sur le temps. Au plus près possible de la réalité, cherchant au maximum à nous impliquer dans le film, il nous fait errer avec mélancolie et nostalgie, nous rappelant que notre vie n’est pas toute tracée, qu’elle peut être dure, mais que nous avons aussi la clé du bonheur et la capacité de l’utiliser si nous nous en donnons les moyens. Un instant de vie plein de mélancolie, une fable douce-amère qui donne envie de prendre quelques instants pour réfléchir à notre tour.

JKDZ29
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le 4 nov. 2018

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