Première oeuvre francophone sur l'homosexualité féminine.


Eh bien Olivia ! Es-tu jalouse de tant de beauté? Toi tu ne seras jamais tout à fait belle, non, mais tu as ta part. Un joli regard, une jolie bouche, un joli corps. Beaucoup de grâce Olivia ce qui est parfois préférable. Mais si d'envie me prenait de vous embrasser charmante dinde, comment ferais-je avec tous ces voiles? Approche que je te dise un secret. (murmure)Je viendrai ce soir. Je t'apporterai des bonbons.



Un internat imposant et magnifique, cadre d'une élite féminine dominée par un code moral avec des valeurs crédules et ingénues ne représentant qu'une façade. Lorsqu'on gratte un peu la surface des personnages et qu'on regarde les petits messages posés à droite et à gauche on entame alors la pleine mesure du spectacle présenté. Tel est le cadre de cette histoire osée, en tant que premier film français sur l'homosexualité féminine. L'innocence d'une jeunesse candide et niaise bafouée par l'appel du corps fantasmé des délices de la chair, qui ternit notre belle conscience sacrée, véhiculé par une directrice bien inspirée pour faire perdre la virginité à ses élèves par une passion débordante de sa personne.


Le cinéma de Jacqueline Audry est à l'époque un dynamitage du genre, projetant une peinture démystifiée de la femme conventionnelle, où les individus se libèrent pleinement du conditionnement posé par des dogmes sociaux et idéologiques d'une époque, dans une infrastructure présentée comme un huis-clos. Olivia est la représentation d'un système de pensée transgressive, où les personnages, des élèves purs et des femmes de pouvoirs représentés par une directrice et des professeurs, maillon d'un système essentiel, questionnent le désir de liberté finissant lui aussi par se soumettre. Pas par résignation, mais par la conviction qu'il est plus simple pour survivre de choisir la négation aux ténèbres de la lucidité existentielle.


Un cinéma de l'humain, fragile, excessif dans le fond jamais dans la forme, libertin, provocateur, mais toujours fédérateur et inspirant. Un scénario transcendé par une construction narrative pensée pour faire sens. Olivia est une expérience délicieuse où l'on mesure le talent d'une réalisatrice qui réfléchit à ses cadres et découpages, touchant notre perception comme notre rapport au cinéma. Mis en scène par une pionnière du cinéma, il n'évite pas certains dangers et naïvetés, mais il est contre balancé par une vraie sincérité.


Un jeu ludique et raffiné sur la narration où se mêle digression de l'autorité et innocence influençable par une approche philosophique. Olivia revient à une autopsie sur la transgression d'une époque cinématographique comme vecteur d'une réflexion sur une humanité dont la quête existentielle s'apparente à une poétique chimère. Certaines séquences appliquent cette élévation d'esprit, comme avec l'excellente scène du bal où chacune se travestit, ou encore les lectures impulsives de Mademoiselle Julie, rendant à Andromaque toute son intensité. Pour son sujet et sa mise en scène, ce film est une étape majeure dans la représentation de l'homosexualité féminine.


La prestation d' Edwige Feuillère est sidérante, sous les traits de la directrice Mademoiselle Julie. Elle se présente comme une femme élégante et cultivée dirigeant le pensionnat avec une apparence douceur, alors que plus profondément elle rabaisse toujours par un petit mot les élèves pour conserver sa place d'idole, en maintenant une certaine distance tout en conservant à chaque fois ce qu'il faut d'intérêt et de douceur à leur égard pour se faire aimer. Formant autour d'elle un petit groupe de jeunes élèves fascinées par sa personne, trié sur le volet, formant en quelque sorte un harem.


Mademoiselle Cara la responsable du pensionnat est incarnée par Simone Simon. Présentée comme une hypocondriaque chronique, elle aime être plainte pour devenir le centre de l'attention, afin qu'on s'occupe d'elle. Cara ce livre a une confrontation de popularité avec la directrice auprès des élèves par des manipulations diverses entre les deux femmes. Essayant de lui ravir son petit cercle d'élu, non pas pour lui voler des conquêtes, mais simplement pour stopper ce cercle vicieux, non pas par bonté de l'âme, mais pour éloigner la concurrence. Tout ceci masque finalement une farouche jalousie de la part de Mademoiselle Cara qui s'avère être finalement la concubine de coeur et d'amour de Mademoiselle Julie, qui la trompe régulièrement les nuits en se faufilant dans la chambre des jeunes pensionnaires, malgré la relation qui les unit.


La jeune et nouvelle pensionnaire Olivia Dealey incarnée par Marie-Claire Olivia, se présente comme celle amenant malgré elle, le trouble et le chaos dans le pensionnat. L'incarnation de la comédienne est approximative, se rapprochant sur un plan de la caricature, avec un sourire béant et niais avec des oiseaux qui chantent à la fenêtre. Néanmoins, l'inexpérience de celle-ci correspond parfaitement avec son personnage totalement endoctriné et amoureux sans la moindre expérience de la vie. D'autres personnages sont à notifier comme la cuisinière Victoire (Yvonne de Bay), et la professeur de mathématiques continuellement affamée. Les deux femmes apportent un peu de légèreté, tout en amenant ce qu'il faut de subtilité au récit de par leur regard extérieur.


L'intérêt du scénario se situe dans le relationnel entre Olivia et Mademoiselle Julie. La jeune femme s'amourache totalement de sa directrice voulant se livrer complètement à elle, sauf que Mademoiselle Julie va ressentir exactement la même chose pour elle, créant un conflit intérieur l'empêchant de considérer Olivia comme une simple procuration de besoin charnel comme avec les autres. C'est ainsi qu'un lien aussi complexe que destructeur va se mettre en place entre les deux femmes, que Mademoiselle Cara remarquera, amenant un final des plus intéressants.


CONCLUSION :


Adapté du roman de Dorothy Bussy, Olivia est une oeuvre maîtresse et fédératrice réalisée avec soin par Jacqueline Audry qui étonnamment au vu de l'époque de sa conception a réussi à sortir au cinéma. Chapeau bas à la cinéaste. À ne pas prendre ce film que pour une simple histoire d'amour entre une élève et sa directrice. Le récit est bien plus subtil, nuancé, noir, troublant et malaisant que cela. Présentant de multiples relations passionnées ne laissant avant tout place qu'au désir, sauf pour la relation avec la fameuse Olivia et Mademoiselle Julie, honnête de bons sentiments. Un grand merci à Guillaume Rouleau qui m'a fait découvrir cette oeuvre avec sa critique qui est également à lire pour son excellent contenu.


Une représentation sur l'homosexualité féminine comme on en voit peu clairement en avance sur son temps. À voir absolument pour ce qu'il représente et sa qualité.



Tu as reçu en partage beaucoup de dons et de grâces. Comme ce serait dommage de gâcher tout ça en poursuivant des chimères. Oui, oui tu entends? Des chimères. Je t'ai causé de la peine hier soir et je le regrette. Si de toi-même tu ne sens pas pourquoi, je n'essaierai pas de te l'expliquer. Mais il y a une chose dont je voudrais te convaincre. C'est que je m' efforce d'agir pour le mieux. Pour l'une comme de l'autre. Je t'aime bien mon enfant, plus que tu ne crois.


B_Jérémy
9
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le 7 déc. 2019

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