Juho Kuosmanen est une vieille connaissance de la Croisette, où il a remporté le troisième prix du concours de cinéma de la Cinéfondation en 2008 avec Roadmarkers, avant d'y obtenir le premier prix en 2010 avec Painting Sellers, le réalisateur finlandais a logiquement passé un palier aujourd'hui. Le 69ème Festival de Cannes lui a permis de faire découvrir son nouveau film, Olli Mäki, à un plus large public, sélectionné dans la catégorie "Un Certain Regard", il y a remporté le grand prix. Ce long-métrage confirme en effet tout le potentiel du cinéaste. Un film de boxe tourné en noir et blanc, ce n'est évidemment pas une première, Martin Scorsese l'avait déjà fait il y a plus de 30 ans avec son monumental Raging Bull, qui fixait définitivement un standard de qualité en ce qui concerne les films biographiques, en ce sens, Olli Mäki était dès le départ une entreprise très risquée, qui allait forcément entraîner diverses comparaisons plus ou moins heureuses, mais surtout des attentes, il fallait donc évidemment se montrer à la hauteur.


Avant de développer, faisons un petit détour du côté du synopsis:


Détaillant le conflit interne d'un homme tiraillé entre ses émotions et le monde impitoyable de la boxe professionnelle, ainsi que l'opposition entre l'insouciance de la jeunesse et la peur de ne pas être à la hauteur de ses ambitions, l'opposition de la liberté et de la soumission, et celle de la paix et de la pression des médias, le film prend place en 1962, au moment où la Finlande s'apprête à accueillir un championnat du monde de boxe sur son sol pour la première fois. Tous les espoirs du pays reposent sur les poings d'Olli Mäki (Jarkko Lahti), un ancien champion amateur européen ayant très peu d'expérience dans la boxe professionnelle (mais tout de même 8 victoires sur 10 combats), opposé à Davey Moore (John Bosco Jr.), un redoutable adversaire américain affichant 64 victoires au compteur. Notre protagoniste principal est formé et entraîné par le boxeur retraité Elis Ask (Eero Milonoff), qui utilise l'occasion pour se remettre sous la lumière des projecteurs, Mäki est cependant confronté à un gros problème: Il est sélectionné dans la catégorie poids plume et doit donc perdre beaucoup de poids en très peu de temps pour passer sous la barre des 57 kilos, ce qui lui permettra de prendre part au combat. Plus important encore, il se rend compte qu'il est tombé amoureux de Raija (Oona Airola), une jolie jeune femme venue de la campagne, qui le suivra jusqu'à Helsinki, où Mäki entame sa formation. Las pour notre héros, son entraîneur arrive à la conclusion qu'elle représente une distraction dangereuse pour la concentration et l'avenir de son poulain, Raija finit par s'en aller et Mäki se retrouve donc seul avec ses doutes...


Olli Mäki est un film dramatique développant des accents humanistes et fortement optimistes, voilà déjà un point de départ intéressant si l'on cherche à comparer ce film avec un chef d’œuvre tel que Raging Bull, force est de constater que le premier long-métrage de Kuosmanen s'en sort plutôt honorablement, le cinéaste démontre des qualités de réalisation très intéressantes, en particulier des compétences parfaites en ce qui concerne le montage, ainsi qu'un sens du rythme et de la crédibilité qui se révèlent être des ingrédients essentiels dans un film de ce genre.


Magnifiquement filmé, avec ce monochrome texturé 16mm très agréable à l’œil, Olli Mäki développe un équilibre très efficace entre ses séquences réalistes liées exclusivement au sport et à toutes les difficultés que cela entraîne (à savoir, les entraînements en plein air sur le ring, le processus de perte de poids, la présence intrusive de la presse, ainsi que la relation ambiguë entre Olli et Elis), et des scènes pleines de charme, filmées en lumière naturelle en plein cœur de la forêt et de la campagne finlandaise, où s'épanouit l'histoire d'amour entre Olli et Raija. Une belle note d'innocence essayant tant bien que mal de survivre dans un monde brutal où la confrontation et l'humiliation se cachent à chaque coin de rue.


Fasciné autant par les événements se déroulant en dehors du ring qu'à l'intérieur de celui-ci, Kuosmanen, avec l'aide de son compère Mikko Myllylahti au scénario, dépeint une version légèrement romancée de la vie du boxeur finlandais. Le personnage de Mäki est un doux rêveur, quelque peu pensif, souhaitant juste être laissé en paix, un homme modeste, détestant l’hypocrisie, et qui sourit donc ironiquement à toutes les demandes de son manager Elis Ask, notamment lorsqu'il lui conseille de se montrer cruel sur le ring. Elis est un personnage qui se révèle être l’exact opposé de son combattant, c’est également un ancien boxeur, mais son comportement de showman hyperbolique, qui promet à la presse un "spectacle jamais vu en Finlande", "un événement mondial digne des américains" nous démontre à quel point les différences peuvent être significatives, même en ce qui concerne deux personne issues du même milieu. Cependant, tout comme Olli, Elis est un personnage qui doit mener ses propres combats, à savoir faire face à la défiance de sa propre femme (qui ne ménage pas ses efforts pour le percer à jour sous ses airs d’intouchable arrogant), celle de ses bailleurs de fonds, ainsi que, bien entendu, celle de ses adversaires américains.


La première rencontre avec Olli Mäki intervient alors qu'il tente de débuter une relation avec la jeune et belle Raija, rencontrée dans leur petit village un jour de mariage. L'énergie et la jeunesse de leur couple se remarque facilement, notamment lors d'une scène où leur voiture tombe en panne et où ils décident de continuer leur route à vélo. Ce sens de l'élan spontané et insouciant fonctionne en tandem tout au long du film aux côtés de la précision plus formalisée de l'entraînement sportif, de sorte que la pression subie par le boxeur en rapport avec son combat à venir se voie équilibrée par des scènes où les deux amants se contentent de petits plaisirs simples comme celui de courir avec un cerf-volant dans la brousse, ou encore celui de la promenade en forêt.


Le sujet de la pertinence de leur couple face aux devoirs de Mäki se pose lorsque ce dernier doit se rendre à Helsinki pour s'entraîner, il décide d'emmener Raija avec lui dans un premier temps, ce qui donne lieu à quelques scènes cocasses lorsqu'ils se voient forcés de dormir sur des lits superposés dans la chambre d'enfants d'Ask, cependant, les pressions externes commencent bientôt à s'exercer sur les deux amoureux, autant de la part des médias que de celle du propre entraîneur de Mäki, qui en viennent tous à la conclusion qu'il devrait concentrer l'essentiel de ses forces à son entraînement, en vue de son futur combat, le forçant donc à délaisser son amour.


L'alchimie développée par les personnages se ressent à tous les niveaux, de l'inquiétude chargée de testostérone régnant entre Mäki et Ask, à la relation très particulière que le boxeur entretient avec Raija, dont la beauté se situe quelque part entre l'insouciance et la compréhension immédiate qui transite entre eux dans chaque regard qu'ils se lancent. Lorsque Raija est contrainte de partir, nous sentons immédiatement la lueur dans les yeux de Mäki se dissiper avec elle, le scénario devenant tout à coup plus rude, moins indulgent avec ses personnages. Il faut toutefois bien se rendre compte que Kuosmanen ne le fait pas pour nous assommer avec des tonnes de sentimentalisme, mais simplement pour mettre en relief la chaleur d'une relation opposée aux autres éléments de la vie de Mäki. Cet aspect se révèle particulièrement efficace, notamment lors d'une scène bien précise, où le boxeur se rend dans une fête foraine, dans le simple but de se confronter à son propre désespoir, que la présence de Raija parvenait précédemment à rendre invisible, le fait que nous ne connaissions pas encore très bien la mentalité de notre protagoniste à ce moment précis, et qu'il parvienne pourtant à se rendre immédiatement touchant et charismatique constitue un vrai tour de force en soi.


Kuosmanen a également la bonne idée de ne jamais emprunter d'itinéraire prévisible, en éludant les tropes stochastiques et structurelles classiques de nombreux films de boxe, il déroule son intrigue en refusant la construction scénaristique habituelle, généralement basée sur le principe d’une opposition entre l'adversaire invincible, incarné ici par l'américain Davey Moore, et le jeune challenger qui devra s'entraîner au-delà de ses capacités pour parvenir à son but (soit l'opposition classique et déjà vue entre David et Goliath). Au lieu de cela, le scénario change constamment de perspective, nous demandant d'observer la situation sous un autre angle (en donnant également une autre vérité émotionnelle aux lieux communs qui nous sont présentés). Dans ce film, le bonheur est un sentiment difficilement descriptible, qui se retrouve dans des endroits inattendus et qui représente plus qu'un simple et fugace moment de triomphe.


Très modeste, comme son héros, ce film semble presque partager son manque d'ambition, en s’occupant soigneusement de toutes ses sources de tension dramatique avant même le grand combat final, tout ce qu’il reste de l’intrigue à ce moment-là est un anti-climax total; Conduisant à une fin à priori heureuse, mais tout de même ambiguë dans la façon dont elle est présentée. Au final, même lorsqu’il pourrait se montrer grandiloquent, à grands coups de violons larmoyants et de lignes de dialogues sentimentales au possible, ce film reste très modeste, trop modeste diront certains, mais finalement la modestie se révèle être un fil rouge des plus intéressants, pour tout ce que cela apporte en termes d’originalité narrative et d’intrépidité esthétique, à un genre qui se prête bien trop souvent à l’exagération mélodramatique inconsidérée, le sentiment de simplicité que l’on ressent pendant le visionnage d’Olli Mäki est des plus agréables.


Contrairement à d'autres films biographiques, Olli Mäki ne se préoccupe pas de décortiquer son personnage-titre dans son intégralité, se contentant plutôt de susciter son essence à travers une des périodes les plus contradictoires et significatives de sa vie. La renommée, l'argent et les exigences qui les accompagnent ne font jamais partie des ambitions de Mäki, ni de Kuosmanen, le film fait non seulement figure de portrait d'un héros de l'ombre et de son époque, mais également de son propre auteur, il n'est en effet pas difficile de déceler des éléments clairement autobiographiques savamment disséminés dans ce portrait d'un héros totalement inconnu en dehors des pays nordiques.


Ainsi, à l'aide du formidable travail artistique et intemporel de Jani-Petteri Passi, chaque cadre transmet un dynamisme contemporain, réaffirmant la résonance moderne des luttes du protagoniste. Kuosmanen et Passi ont sans doute longuement discuté des spécificités de leur approche visuelle, jusqu'à arriver au grain unique finalement utilisé pour faire revivre les années 60 dans leur film, et le visuel a bel et bien une importance capitale dans l'idée de développer un film sur un boxeur (mais pas un film sur la boxe elle-même, un petit détail qui compte!).


Drôle, désespéré et irrésistiblement charmant, le premier long-métrage de Juho Kuosmanen développe un commentaire tranchant sur l'industrie du sport et, par extension, sur l'industrie du divertissement, le tout s'illustre d'ailleurs parfaitement lors d'une séquence étonnante se déroulant pendant une réception organisée en parallèle du combat, où il est tout à fait clair que les deux athlètes sont les personnes les moins importantes à être présentes, toute la démarche de Kuosmanen pourrait être résumée dans cette seule scène, génial! On notera également la volonté de mise en abyme constante du réalisateur, ce film reprenant largement le concept du malaise et de l'excitation provoquée par les "débuts" d'un illustre inconnu sur la voie de la célébrité et de la reconnaissance internationale, ce film n'étant finalement pas moins une biographie d'un boxeur que celle de son propre auteur, chose aisément décelable si l'on prend la peine de lire quelque peu entre les lignes.


Dans l'ensemble, Olli Mäki est tout simplement une ode triste et désarmante à l'innocence perdue, se profilant comme l'une des histoires cinématographiques les plus marquantes de ces dernières années, démontrant une vraie vigueur formelle qui happe le spectateur en l'espace de quelques secondes pour ne plus le relâcher jusqu'à la fin du générique. Loin d'être un biopic standard, ni même vraiment un film de boxe, l'existence même de ce film est fondée sur une simple idée, trop simple pour soutenir un film de ce genre diront certains. Peut-être sera-t-il plus parlant pour le public scandinave, ou pour les amateurs de boxe tout simplement, il est vrai qu'un spectateur connaissant bien l'histoire de Mäki pourrait s'attendre à autre chose. Cependant, il serait certainement plus judicieux de l'aborder comme une fiction pure, et de simplement apprécier son apparence globale, déchiquetée et reflétant l'esthétique d'une certaine forme de cinéma purement artistique en vogue actuellement. En somme, un bon petit film venu du nord comme on aimerait en voir plus souvent, léger, insouciant et encore une fois, modeste, le genre d’œuvre parfaite pour se redonner le goût de la vie dans les moments difficiles, et tout simplement, une très belle surprise!

Schwitz
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le 17 mars 2017

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