Je me suis souvent demandé si Bud et Terence passaient leurs vacances ensemble ? Comment les imaginer dissociés ? Pouvez-vous concevoir Laurel sans Hardy ? Les Marx Brothers séparés ? Moi, j’en étais incapable. Je n’avais que onze ans.


La carrière de papa nous avait amenés à résider dans une petite ville de province. J’avais une grande école, un petit jardin, des copains et un cinéma. Comme tout enfant ! Presque, mon enfance fut dépourvue de télévision, cette lucarne magique qui trônait dans vos salons, avant de pénétrer dans nos chambres à coucher. J’ai conservé un manque, une béance culturelle, un gap irrévocable : j’ignore tout de vos séries, dessins animés et animateurs d’antan. Mais, j’avais un cinéma. J’aimais sa façade à colonnes et affiches, la caisse vitrée, le grand escalier à moquette passée et, enfin, la Salle avec ses fauteuils à bascules, l’allée centrale bordée de ces fascinants strapontins à double révolution, le lourd rideau cramoisi dévoilant l’écran. Qu’elle était belle notre salle !


L’enfance regorge de rituels mystérieux dont le rythme d’apparition va s’accélérant, pour disparaître, soudain, à l’adolescence. Le Rex en fut. Il était du mercredi, le jour des enfants. Nous étions cinq garçons, tous voisins. Nous nous retrouvions les mercredis et samedis, chez l’un, chez l’autre. Nous jouions à des jeux de plateaux. Je réveille un temps antérieur à celui de l’informatique. Le mot ordinateur évoquait, chez les plus modernes d’entre nous, des machines hautes comme des hauts-fourneaux qui avaient permis à quelques Américains prétentieux de marcher sur la Lune. Nous, nous se disposions que de carton, de dés et pions. Nous possédions une dizaine de boîtes : des maisons à construire, des richesses à accumuler, des familles à constituer, un monde à conquérir. Deux fois par mois, nous avions cinéma. Le Rex nous attendait. Chaque mercredi, il programmait un film pour enfants, sympa ! Nous ne nous intéressions qu’aux films de garçons. L’affiche ne trompait guère : les nôtres portaient des déserts, des chevaux, des armes et des hommes forts. Nous les dévorions des yeux. Maman acceptait, en rentrant de l’école, de faire un détour pour nous laisser découvrir la programmation du mois. Nous la dévorions des yeux. Nous nous retrouvions le lendemain, à la récréation, pour commenter, subodorer, rêver. La fête avait commencé. L’attente participe du rituel, elle en constitue même le cœur. Pierre excellait au jeu du scénariste. Nous l’écoutions, émerveillés. Il nous transportait. A partir d’un galion et d’un pirate, il découvrait l’Eldorado ; d’un homme singe et d’un gorille, il renouvelait le mythe de Tarzan ; d’un cow-boy et d’un train, il bâtissait une chevauchée fantastique. Son chef-d’œuvre restera Zorro : il avait tout compris, tout prévu, la série télévisée, les rechutes, les retours, les pastiches, les fils et filles, Zorro démasqué, trompé, fantôme, amoureux. Que n’a-t-il donc tout déposé à temps à la Maison des Auteurs ! Un gosse ne compte pas.

Papa aimait le cinéma. Souvent, il m’emmenait aux « grandes » séances du samedi soir. Les vrais westerns, ceux de John Ford et John Wayne, d’Anthony Mann et James Stewart, de Delmer Daves et Gary Cooper ou, mieux encore, les films de guerre : La Bataille des Ardennes, La Bataille d’Angleterre, Tora ! Tora ! Tora ! ou Le Jour le plus long. A l’aller, Papa rappelait le contexte historique, celui de l’Histoire et celui du film. Il associait dans la même vénération stratèges et metteurs en scène, héros et comédiens. Au retour, tandis que la fièvre retombait en moi et que je m’apprêtais à poursuivre l’affaire du fond de mon lit, Papa poursuivait, son œil d’ingénieur n’avait rien laissé passer : les chars Patton anachroniques de von Runsted, les Messerschmitt espagnols à moteurs britanniques, les T6 travestis en Zéro. Mais, rapidement, il oubliait les détails irritants pour ne conserver que la magie du Grand Ecran. Je ne l’écoutais plus, je savais que le héros était beau, que le grand blond froid ou le petit jaune fourbe paierait pour ses forfaits, que le jeune impétrant grandirait, qu’il égalerait ses aînés, qu’il retrouverait son pays…


Je dois avouer qu’au grand cinéma paternel je préférais nos séances du mercredi. Ces films à histoire simple que j’ai, depuis, appris n’appartenir qu’au genre mineur des séries B, C ou Z. Ces films dont j’ai perdu les noms, les auteurs, les acteurs. Ces films dont je retrouve pourtant, le soir venu, en fermant les yeux, le style des affiches, le factice des décors, la mélodie, la féerie. Ces péplums, ces westerns spaghettis, ces épopées de capes et d’épées… Ces guerriers en armures, en dentelles, en peaux de bêtes ou en burnous… Ce légionnaire esseulé, ce lancier à plume, ce shérif abandonné, ce corsaire trahi... Non, vous n’êtes pas perdus, vous n’êtes point oubliés, je vous porte en moi, encore, toujours, à jamais. Avouerais-je que nos préférences allaient, sans l’ombre d’une hésitation, vers les histoires de « guerre-à-baffes ». Leurs maîtres incontestés étaient Terence Hill et Bud Spencer, le petit maigre vif comme l’argent et le gros barbu à la lourde patte. Nous étions des fans absolus, nous n’en avons pas raté un !


De passage à Paris, j’ai découvert Star Wars. Mon petit monde en fut bouleversé. Je n’étais plus un enfant.

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le 24 juin 2016

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Step de Boisse

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