"Le Bowery de New York, la plus triste et la plus incroyable des rues du monde. La plus tragique aussi."
Le Bowery est une artère au sud de Manhattan, entre Chinatown et Little Italy. Le quartier autrefois huppé, célèbre pour ses music-halls, accueille désormais une population toute autre : les sans-abris, les chômeurs, les laissés-pour-compte de la société y viennent traîner leur misère...
Au beau milieu des années 50, à une époque où l'Amérique glorifie son image à travers notamment une industrie du cinéma prolifique, On the bowery fit l'effet d'une petite bombe en montrant une réalité bien dérangeante, celle des oubliés de l'American Dream !
Montrer la misère, beaucoup s'y sont risqués mais peu l'on fait avec autant de talents et de sincérité que Lionel Rogosin avec ce film. Il réussit le petit exploit de témoigner de cette situation dramatique sans tomber dans la dramaturgie, il ne succombe à aucune surenchère dans l'émotionnel ou le sensationnel, son film se veut être le constat le plus neutre et le plus objectif possible pour pouvoir donner la parole à ceux que l'on n'entend pas d'habitude.
Afin de réussir au mieux sa démarche, Lionel Rogosin va s'immerger durant plusieurs mois dans le fameux quartier de Bowery, afin de comprendre le mode de vie de ses habitants. Il réécrit ensuite une sorte de trame narrative afin de retranscrire à l'écran des scènes ou situations qu'il a constatées durant son périple. À la manière d'un Robert Flaherty, son film est à mi-chemin entre documentaire et fiction, mettant en scène les véritables résidents du quartier. L'histoire tourne autour du dénommé Ray, un cheminot au chômage, qui se retrouve dans ce quartier en espérant sortir de sa condition. On suit ses errements dans le Bowery, où il tente de survivre, cherchant des petits boulots et sombrant inexorablement dans l'alcoolisme. Il rencontre des personnages étonnants comme Gorman qui se dit ancien chirurgien. Avec ces deux-là, nous découvrons la vie du quartier : ces indigents qui tentent de gagner quelques billets en ramassant des cartons ou en déchargeant les camions, de l'argent qui est souvent dépensé pour quelques verres d'alcool, véritable fléau du quartier ! Nous découvrons le périple de ces personnes qui tentent de survivre, avec le dispensaire, la soupe populaire...autant de lieu où la misère s'écrit quotidiennement au pied de la statue de la liberté.
Bien sûr la petite trame narrative voulue par Rogosin n'est pas très importante, ce qui frappe surtout ce sont ces photographies prises dans la rue, où l'on voit ces hommes dormir sous les porches, ces êtres cassés par la vie qui s'entassent dans les bars, ces visages terribles dont le regard en dit bien plus sur leur condition qu'un long discours.
Fortement influencé par le néoréalisme italien, Lionel Rogosin signe ici une œuvre de témoignage comme il en existe peu, son travail sera justement récompensé par divers prix (Prix du Meilleur documentaire à Venise, BAFTA du meilleur documentaire...) mais surtout il ouvrit la voie à de nombreux cinéastes indépendants comme Jarmusch ou Cassavetes. On the Bowery, qui souffre d'un relatif oubli de nos jours, est bel et bien une œuvre indispensable.