Vous connaissez ce poncif, qu’une certaine presse a tendance à dégainer dès que le dernier opus d’un artiste lui semble plus sérieux, plus épuré, plus profond, ou tout simplement lorsque celui-ci vient de se marier ou d’avoir un bambin. Eh bien, voici typiquement le genre de film qui pourrait se retrouver affublé d’un tel qualificatif. Et pas seulement parce que ce cher vieux Quentin a bel et bien sorti ce neuvième long-métrage entre ses noces et sa nouvelle paternité. Non, disons-le tout net : le bougre nous avait habitués à beaucoup plus fougueux et extravagant que ce Once Upon A Time In Hollywood.


Quelle mouche l’a donc piqué ? Se serait-il vraiment assagi ? Ou pire, endormi ? Quentin ne serait-il plus Tarantino ? Ne nous affolons pas, et tâchons de livrer une interprétation de la mue que le cinéaste semble avoir entreprise.


Tout d’abord, Tarantino, c’est quoi ? Vous savez, le vrai, celui de la grande époque. La star, le monument, l’un des dieux du 7ème art, acclamé tant par les inconditionnels des Cahiers du cinéma que par votre oncle beauf en jogging et claquettes/chaussettes. Ce Tarantino-là, c’est une scène de débat à n’en plus finir sur la question majeure des pourboires au restaurant, à laquelle succède une sanglante fusillade. C’est une discussion délicieusement futile sur les hamburgers, suivie d’un meurtre. Des épisodes de violence parfois extrême, précédés de dialogues tous plus loufoques et hilarants les uns que les autres. Le calme avant la tempête.


Mais le Quentin version 2019, ce serait plutôt le calme avant le calme. Puis le calme. Et ça, ça change. Ça choque, même, presque. D’autant que la perte de repères ne s’arrête pas là pour les pauvres spectateurs que nous sommes. Car Once Upon A Time In Hollywood ne se contente pas de détonner par rapport au reste de la filmographie de son réalisateur, il s’affranchit également de l’efficacité narrative chère aux grands studios américains. Pas vraiment d’histoire, pas d’enjeux dramatiques dans ce film qui, par moments, ferait davantage penser à du Cassavetes, du Hong Sang-Soo, ou un documentaire sur le Hollywood des années 60, qu’à du Tarantino.


Et pour cause : là où le cinéaste, jusqu’à présent, nous présentait des personnages hauts en couleur confrontés à des situations tantôt complexes, rocambolesques, ou les deux à la fois, il fait ici le choix de (anti)héros plutôt banals. Confrontés à des situations… banales. Ou presque, puisqu’ils évoluent dans un univers, lui, assez éloigné de la banalité. On peut présumer que Tarantino, en grand passionné de cinéma, a considéré que la curiosité, voire la fascination, que suscite le mythe hollywoodien, ainsi que la présence de deux des plus grandes stars mondiales au générique, rendait d’emblée son film suffisamment attrayant pour se permettre toutes les folies – ou absences de folie – par ailleurs.


Nous voici donc tranquillement promenés entre studios de tournage et villas chics, au gré des pérégrinations d’un acteur sur le déclin et de son cascadeur/chauffeur/homme à tout faire. Il y a un charme, une ambiance, qui plairont aux amoureux de l’Amérique, du cinéma, ou aux nostalgiques d’une certaine époque. Il y a aussi deux acteurs qui s’en donnent à cœur joie, portant le film sur leurs épaules et justifiant encore une fois leur statut de légendes vivantes du 7ème art. Leurs personnages, dans toute leur normalité, en deviennent attachants.


Mais tout de même, quel rythme étrange. Quelle radicalité dans les choix narratifs, du moins à l’échelle du cinéma de Tarantino. Ce film apparaît véritablement comme une démystification en règle de Hollywood, à travers un personnage de star dont le mythe s’est lui-même étiolé au fil du temps, et qui traverse le récit mû par l’espoir de redonner un peu de relief à sa carrière comme à son existence. C’est sans doute pour rendre compte au mieux de cette vie sans éclat qu’il n’y a ni réels rebondissements ni grosse tension dramatique pendant la quasi-totalité du film. Et comme Tarantino aime jouer avec son public, il va jusqu’à user de fausses pistes : dès qu’une séquence semble tendre vers quelque chose d’excitant pour le spectateur, vous savez, une de ces scènes « tarantinesques » dont il a le secret… il la désamorce immédiatement. Une bagarre est en train de se préparer ? Elle sera très vite interrompue. Un rapprochement s’opère entre un homme et une femme ? La demoiselle est mineure, l'homme refuse d’aller plus loin. Quentin est impitoyable.


Heureusement, Tarantino reste Tarantino, et son sadisme à l’égard du spectateur a des limites. Ainsi, après plus de deux heures de pellicule, il décide que, bon, avec tout ça, on l’a bien méritée, notre scène tarantinesque, quand même. Et on est servi. En plus d’être une savoureuse réécriture de l’Histoire comme le fut Inglourious Basterds en son temps, le dénouement, déjanté à souhait, nous prouve que, non, le cinéaste n’a rien perdu de son talent à nous mijoter des scènes ultraviolentes aux petits oignons.


Finalement, tout en déconstruisant constamment Hollywood, ce film atypique n’en entretient pas moins le mythe. Avec son atmosphère et ses audaces, il peut, malgré ses manques, être considéré comme un assez bel hommage à cette industrie plus que centenaire et toute la faune qui gravite autour.

Xavier Bouchez

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