Tout a plus ou moins été dit/écrit sur Once Upon a Time… in Hollywood (pour le meilleur et pour le pire). Comme à la sortie de chacun de ses films, Tarantino a fait lever les foules, comme il les a fait crier. Entre ces adeptes fanatiques et ceux qui voient en ce bonhomme un réalisateur sur-côté, trop emprunt à la nostalgie et ne faisant que citer, recracher sa culture cinématographique, il y a toujours un conflit parfois dévastateur. Pourtant, il reste évident qu’il est l’un des auteurs les plus plébiscités de son temps, tant ses films ont tous été des succès commerciaux (sauf peut-être Death Proof) et critiques, et sont devenus pour certains, des icônes de la culture populaire. Et de ce fait, la sortie de l’un d’entre eux suscite toujours une attente démesurée. Cette critique va contenir un bon nombre de spoilers, mais le film étant sorti il y a plus de deux semaines, je ne m’interdis pas d’en intégrer quelques uns.
Tout a plus ou moins été écrit donc sur le 9e film de Quentin Tarantino, et pour autant, j’ai envie d’en parler, parce qu’après mon troisième visionnage, je me dis qu’il vaut mieux en parler pour me faire arrêter d’aller voir ce film. Je ne suis pas un inconditionnel de Tarantino. J’aime ces films, son personnage, et je pense que c’est une chance qu’un réalisateur indéniablement talentueux ait autant de succès. Mais je n’ai jamais vu en lui un maître. Certaines de ses réalisations sont pour moi très réussies (Reservoir Dogs, Jackie Brown, par exemple), d’autres tombent un peu plus dans l’auto-caricature (Django Unchained). Mais on ne peut enlever à Tarantino le fait qu’il mette toute son âme dans chacun de ses films, desquels émanent toujours une forme de jubilation souvent assez communicative par des mises en scènes virtuoses, et des dialogues écrits au cordeau. J’ai donc, comme beaucoup de gens, une certaine tendresse pour un monsieur qui a bercé mon début d’adolescence, mais aussi parfois des réserves quant à sa capacité à sortir un vrai grand film. Sauf que c’est maintenant chose faite avec Once Upon a Time… in Hollywood.


On y suit Rick Dalton, ancien acteur à succès ne tournant plus que dans des feuilletons de séries B, et sa doublure cascade, Cliff Booth, pour quelques mois de leurs vies à Hollywood en 1969, la fin de la période dite de l'Hollywood classique. Les productions s'essoufflent; le genre phare, le western, avec elles. Quelques nouveaux réalisateurs commencent à se démarquer, et tentent de raviver une flamme déjà presque éteinte. Parmi eux, Roman Polanski, qui s'est justement installé avec sa femme Sharon Tate dans la villa voisine de celle de Rick. Voilà grosso modo l'intrigue. Et donc celle-ci fait un grand film.
Et pourtant, Once Upon a Time… in Hollywood est au premier abord perturbant, et à plus d'un titre. Pas de réel intrigue, un humour très effacé, une violence présente mais de moindre façon, une vraie tristesse; il surprend par son aspect parfois assez peu "tarantinesque". Et en plus de tout cela, il contient tout ce qui peut parfois faire saturer le spectateur chez Tarantino: des dialogues apparemment interminables, des scènes entières qui paraissent vaines, des références à gogo. De même, certains tics ressortent encore (une voix-off qui force la vanne, des clins d’oeils), mais en fait tant mieux. Bref, ce film paraît d’abord bizarre, intriguant, parce que mine de rien, il nous fait tout de même tenir 2h40, en nous laissant le sentiment d’avoir vu un je ne sais quoi d’important. On ne sait pas trop si ce qu’on vient de voir est simplement une curiosité un peu fouillis, ou bien si c’est bien ce qu’un coin de notre tête nous dit, un chef d’oeuvre. Et puis on va le revoir, et là tout semble évident. Le fouillis devient un clair foisonnement, et toute la virtuosité, la sensibilité, et la tendresse de Tarantino se révèlent vraiment.
Parce qu’effectivement, Once Upon a Time… in Hollywood est un film d’une tendresse infinie: tendresse d’un réalisateur pour une époque à la fois fantasmée et reconstituée à la perfection, tendresse d’un auteur pour son oeuvre et ses personnages, tendresse d’un adulte pour son enfance et ce qui l’a construit. Ce Tarantino mélancolique et triste rappelle celui de Jackie Brown dans cette représentation finalement assez désenchantée de Los Angeles. La reconstitution de la ville est démente (tous ces néons qui s’allument sur California Dreamin’, c’est sublime), et la façon dont il dépeint la période de l’Hollywood de 1969 est touchante sur deux points. Le premier est une apparente nostalgie d’un garçon qui, lorsqu’il avait 6 ans, découvrait une ville pleine de lumière, pleine de cinéma. Et le second est au contraire, un constat assez fataliste sur ce qu’était réellement Hollywood en 1969, à savoir un monde qui s’essouffle, qui devient peu à peu poisseux, et s’apprête à vivre un des événements les plus terribles de son existence, qui va finalement accélérer sa chute: l’assassinat de Sharon Tate. Certains ont vu une grande nostalgie, une déclaration d’amour de Tarantino à cette période, voir même une forme de conservatisme. Je pense au contraire que Tarantino est assez lucide sur ce qu’était réellement Hollywood et la cité des anges à cette époque malgré le regard d’enfant qu’il garde et qui laisse entrevoir une certaine nostalgie. Mais celle-ci reste malgré tout extrêmement mélancolique, et en fait extrêmement belle. On aurait presque l’impression que Tarantino, avec ce film, fait le deuil de son enfance, ou du moins, de ses souvenirs enchantés d’enfant, en les confrontant avec l’histoire. Et cette tristesse, elle transparaît largement dans le duo Rick Dalton/Cliff Booth. Le premier se sait has been, symbole de l’époque dans lequel il vit, qui ne supporte que peu les rides; et l’autre n’a jamais eu de carrière, n’est qu’un homme a tout faire, qui fantasme des combats avec Bruce Lee, frustré que personne ne le juge à sa juste valeur, comme un héros de guerre.
DiCaprio est tonitruant, très sincère, toujours dans le juste (et pourtant rare sont les fois où Leo m’a fait frissonné par sa performance, mais là si : le monologue colérique dans la caravane, et le dialogue avec la petite fille du feuilleton à chialer), et Brad Pitt est hallucinant aussi, bourru et amoral à souhait (un dernier rire sous acide particulièrement génial). Et puis ce duo est si beau. Leur dernier regard est un déchirement à chaque fois. C’est comme le dernier épisode de Friends ou d’une série qu’on aime. On les a suivis dans une petite tranche de leur vie, et ils s’en vont, non c’est trop triste. Et puis il y a Sharon/Margot dont l’utilité a laissé beaucoup de monde assez dubitatifs. Certes, elle ne parle pas beaucoup, et on ne la voit pas beaucoup, mais elle n’en reste pas moins très belle, et est un peu le seul éclat dans cette environnement crado. C’est la figure encore émerveillé par ce monde, l’une des seules figures positives avec peut-être Rick Dalton malgré ses états d’âmes. Bref quels acteurs dans l’ensemble ! De DiCaprio à Al Pacino, ils sont toujours superbes. Des performances de très très haut niveaux comme celle-ci, il n’y en a pas eu cette année, et il n’y en aura surement pas d’autres.


Mais au delà de tout ça, Once Upon a Time… in Hollywood est un film d’une maîtrise folle. Des dialogues à la mise en scène, en passant par la reconstitution, tout transpire le calibrage, la maîtrise. L’apothéose étant l’heure et demi au milieu où se mêlent trois grosses séquences à savoir le tournage de Rick, les déambulations de Cliff jusqu’au ranch abandonné, et la séance de Sharon. Individuellement, les trois séquences sont déjà remarquables d’intelligence (la façon dont le spectateur prend la place du réalisateur dans le tournage), de sincérité (Margot Robbie/Sharon Tate qui regarde Sharon Tate, c’est magnifique), et de génie finalement avec la séquence du ranch qui est un bijou de mise en scène aux allures de Massacre à la tronçonneuse ou de Wes Craven, aux seins d’une Manson Family qui montre ici que la fiction n’est jamais très loin de la réalité chez Tarantino, tellement ces dingues devaient ressembler à la famille de Leatherface. Mais au-delà de ça, le montage alterné de ces trois séquences est tout bonnement hallucinant, et met en exergue tout le talent de Tarantino qui trouve ici son moment le plus réussi (avec en climax encore une fois toute la clôture de cette immense triple séquence où chacun rentre chez soi sous les lumières des néons et la reprise des Mamas & the Papas, tellement triste et brillante à la fois (tout l’usage est de la B-O est génial comme souvent chez QT, avec une spéciale dédicace à Out of Time des Stones, une perfection dans le film.)).
Et enfin, il y a toute la séquence de fin qui a fait couler beaucoup d’encre. Non, Sharon Tate ne meurt pas. Et est-ce pour autant du révisionnisme outrageant et insultant pour la mémoire de l’actrice et son mari ? Non, pas le moins du monde. A la fin donc, les trois membres de la secte de Charles Manson s’introduisent dans la villa de Rick et se font trucider successivement par Cliff défoncé à l’acide et son chien, et par Rick au lance-flamme (pas défoncé au lance-flamme hein, c’est lui qui crame une folle au couteau, attention). La scène est d’abord d’une violence inouïe parfois à la limite du supportable (violence qui rappelle fortement celle des 8 Salopards, beaucoup plus crus qu’à l’accoutumé chez Tarantino). Mais tout avait préparé cette fin tant la mort planait un peu partout dans le film (de la visite glaçante de Charles Manson à la villa Polanski, au ranch, en passant par tout ce qui tourne autour de ce monde agonisant et s’étouffant dans sa propre fiente). Sharon Tate est donc sauvée. On peut avoir plusieurs lectures de cette fin. La première étant simplement un souhait profond et jouissif de voir tous ces tarés se faire soit mordre les couilles, exploser la face sur un rebord de cheminée, ou cramer au lance-flamme; une sorte de vengeance personnelle donc. Mais ensuite il ne faut pas oublier que Tarantino raconte une histoire, et cette histoire finalement commence ici, du moins le conte. Et si Sharon Tate n’avait jamais été assassinée ? Et si finalement, la peur et la mort ne s’étaient jamais répandues sur Hollywood ? C’est là le début du conte. Et c’est d’autant plus émouvant quand on sait que la cinéphilie de Tarantino débute à peu près avec cette mort tragique, soit les début du Nouvel Hollywood. La vraie question qui apparaît donc en filigrane : Et si Tarantino n’avait jamais existé, du moins pas comme on le connaît aujourd’hui ? Moi je trouve ça beau, très beau même. Et puis le dernier plan de Cliff et Rick qui se séparent, suivi du dernier du film où Rick entre chez Sharon sur une musique de Maurice Jarre, c’est de toute beauté, et on contient difficilement ses larmes. Non, non, c’est vraiment somptueux, puissant, et si, si attendrissant. Je pense que Tarantino était vraiment triste en faisant ce film. Et à chaque fois que je sors de la salle après, j’ai envie de le consoler, comme pour rendre le gros câlin qu’il me fait avec ce film.


J’ai du mal à comprendre ceux qui font la fine bouche avec ce film (sans doute les mêmes que pour *Parasite* et sa palme d’or). Certes c’est un film aux allures alambiquées, qui peut paraître à contre-temps parfois, qui doit pouvoir repousser, mais l'argument qui dit que le film est une ode convenu à une période médiocre, c’est assez faux. Et ceux qui ne sont pas content qu’un réalisateur comme Tarantino fasse beaucoup d’entrées, c’est une aberration. Dans un monde où le cinéma grand public est en train de mourir (à lire, les mots de James Gray sur le sujet pendant la promotion de *Ad Astra*), il faut se réjouir de voir qu’un auteur comme Tarantino arrive à autant remplir les salles, alors qu’il est un auteur justement. C’est une réelle chance. Surtout qu’il vient de nous pondre une oeuvre sans doute déjà classique, transpirante de sincérité, de beauté, de mélancolie, de joie, de tristesse, de tendresse. Bref, une oeuvre hors du temps. 
FlavienDelvolvé
10

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le 5 sept. 2019

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