Réalisé par Kaneto Shindo, Onibaba sort en 1964, la même année que Kwaidan, autre film d'horreur distribué par la Toho. Shindo commence sa carrière comme scénariste, il gravit progressivement les échelons et travaille notamment comme assistant réalisateur et directeur artistique pour Mizoguchi dans les années 30. Il réalise son premier film en 1951. Lors du tournage d'Onibaba, il a plus d'une quinzaine de films à son actif dont les Enfants d’Hiroshima et l’Île Nue. Ces deux films reflètent bien deux thématiques chères au réalisateur qu’on retrouve tout au long de sa carrière, l’injustice sociale et la bombe atomique.


Shindo intervient sur le film à plusieurs niveaux, il le dirige, mais il en écrit aussi le scénario, est responsable de la direction artistique et le produit par l’intermédiaire de Kindai Eiga Kyokai, boîte de production qu’il avait créée dans les années 50 avec, notamment, l’acteur Taiji Tonoyama que l’on retrouve dans de nombreux films de Shindo, dont celui ci.


Le scénario d’Onibaba serait inspiré d'un conte bouddhiste, pour autant le film s'intéresse principalement aux relations humaines et, si le film a une dimension morale et folklorique, la religion n’y joue pas un rôle déterminant. L'action se déroule au 14ème siècle, pendant un long conflit entre deux clans prétendant au trône. Deux femmes, belle-mère et belle-fille, vivent au bord d’une rivière jonchée par un immense champ de roseaux. Elles survivent en volant les cadavres de samouraïs et en revendant leurs effets personnels et leurs armes à un marchand profiteur de guerre. Un jour, l’homme qui était parti à la guerre avec leur fils et mari revient seul et leur annonce sa mort. L’intrusion de cette troisième personne déséquilibre le rapport entre les deux femmes, quand la plus jeune commence une liaison avec cet homme sa belle-mère par dégoût et jalousie revêt un masque de démon pour l’effrayer et la convaincre d’y mettre un terme.


Le film, tourné en extérieur, fait une très belle utilisation des décors naturels conférant au film intemporalité et puissance allégorique. La première séquence est à ce titre exemplaire utilisant les décors pour faire ressortir la noirceur et la dimension sociale qui marque tout le film. Deux samouraïs poursuivis se cachent dans le champ de roseaux. Les plans larges montrent l’immensité du champ dans lequel les deux hommes semblent autant se perdre que se cacher. Soudain, alors qu'ils tombent d'épuisement, deux lances les transpercent. Une fois qu’il est certain qu’ils sont morts, deux femmes sortent des roseaux pour leur voler armes, armures et vêtements et jeter leurs cadavres dans un trou au milieu du champ. La séquence de détroussage de cadavre est longue et détaillée, au limite du malaise. L’efficacité et la coordination des deux femmes montre que cet acte est pour elles banal et habituel. Shindo s'intéresse ainsi à la guerre de manière oblique en s'attardant sur ses conséquences sur les personnes au plus bas de l’échelle sociale et sur le délitement des valeurs qu’elle provoque. Son propos est rendu intemporel par l’utilisation d’un décor neutre, non marqué par le temps. Il dira, d’ailleurs, en interview que les effets du masque sur le visage de la belle mère renvoient aux effets de la bombe atomique.


La puissance du film vient de son absence de jugement et de la reconnaissance de la complexité des rapports humains. Si aucun doute ne plane sur la condamnation de la guerre par le réalisateur, il n’en est pas de même pour les actions qui en découlent et Shindo n’a pas peur de plonger dans la psyché humaine et de la montrer dans tout sa noirceur et son ambiguïté sans pour autant la juger ou perdre foi en l’humanité.


ailuridae
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le 22 sept. 2025

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