Jim Jarmusch n’a que faire des clichés du film de vampires. Pas de morsures effrayantes ni de capes gothiques virevoltantes. Dans Only Lovers Left Alive, le mythe est revisité avec une élégance fluide et une profondeur mélancolique. Plus que jamais, les buveurs de sang sont des figures du spleen absolu, des artistes maudits errant dans un monde qui ne tourne plus rond.
Adam (Tom Hiddleston), vampire torturé et musicien génial, traîne son ennui dans un Détroit désertique et crépusculaire. Le rock est mort, la littérature est morte, et lui aussi aimerait bien en finir si ce n’était pour son amour immortel : Eve (Tilda Swinton). D’une sagesse millénaire, elle voyage de Tanger pour le ramener à la raison, à coups de poésie, de vinyle et d’amour inébranlable. La référence biblique de leurs prénoms n’est pas anodine : ils sont à la fois les vestiges d’une humanité révolue et les témoins lucides d’un monde qui se délite.
Visuellement, Only Lovers Left Alive est un régal. La caméra de Jarmusch glisse avec une langueur hypnotique sur ces âmes fatiguées du monde, sublimées par une photographie aux teintes sépia et une bande-son envoûtante signée Jozef van Wissem. Chaque plan respire l’amour du détail, du grain de la pellicule aux reflets moirés des lampes tamisées. Le spectateur est happé dans cette ambiance nocturne et musicale, un cocon où le temps semble suspendu.
Mais si l’esthétique et l’interprétation des acteurs sont indéniablement fascinantes, le rythme contemplatif peut parfois sembler un peu trop dilué. L’intrigue, minimale, ne cherche jamais à précipiter les événements. On assiste plus à une méditation qu’à une véritable histoire au sens narratif classique. Ceux qui espèrent du suspense ou des rebondissements en seront pour leurs frais.
Heureusement, le duo Hiddleston-Swinton sauve tout risque d’ennui. Leur alchimie crève l’écran, entre l’intensité tragique d’Adam et la grâce lumineuse d’Eve. Hiddleston joue le musicien maudit avec une fragilité désabusée, tandis que Swinton incarne une sensualité sage, un équilibre parfait entre la douceur et la puissance. Ce sont eux, plus que le récit, qui font vivre le film, transformant chaque scène en une danse silencieuse entre l’amour et la mélancolie.
Avec Only Lovers Left Alive, Jarmusch signe une ode aux âmes perdues et aux artistes incompris, une fresque élégiaque qui préfère le murmure au cri. Un film qui hypnotise autant qu’il frustre, selon qu’on se laisse envoûter ou non par son rythme lent. Une certitude demeure : Adam et Eve marquent les esprits comme un souvenir indélébile.