Si elle n'a rien d'originale aujourd'hui, la critique de l’american way of life portée par Seconds a dû faire son petit effet à l'époque de sa sortie en salles, tant son propos paraît virulent. Le principe est simple, exprimer la vacuité d'une existence matérialiste en transformant le rêve ricain en véritable cauchemar éveillé. Le personnage principal, Hamilton, semble posséder tous les critères requis pour hurler son bonheur sous la bannière étoilée, puisqu'il cumule réussite professionnelle, sociale et familiale. Seulement, notre homme a beau s'accrocher autant qu'il peut sur les symboles de son succès, sa vie ressemble à un ratage complet : sa femme et sa fille ne lui parlent plus et semblent même se désintéresser totalement de sa vie ; ses hautes responsabilités ne lui apportent pas l'estime de ses pairs, pire elles sont sources d'angoisse et d'inquiétude. Heureusement, pour protéger ses ouailles, l'Oncle Sam a tout prévu et lui envoie une société secrète (Hollywood ?) qui va lui vendre du rêve grandeur nature. C'est le fameux droit à la seconde chance. Et c'est là où Seconds se fait particulièrement cynique : jeunesse, beauté, vie d'artiste et brûlant soleil californien, rythment dorénavant les journées d'Hamilton sans pourtant le rendre heureux. En voulant changer de vie à tout prix, en désirant enfin goûter au bonheur, Hamilton n'a fait qu'échanger une existence vide de sens par une autre. L'argent roi ne permet pas tout et le rêve, matérialiste ou de papier glacé, demeure à jamais une véritable utopie.


Film de son temps, Seconds se fait l'écho du mouvement contestataire grandissant au cours des 60's en se voulant politiquement incorrect et en dénonçant la dictature du conformisme à l'américaine. Sur bien des points, il préfigure le cinéma des 70's, notamment pour son ambiance pratiquement psychédélique, sombre et anxiogène. Ainsi, faute d'être brillant et totalement convaincant sur la durée, le film se suit avec plaisir grâce à cet univers étrange et surréaliste qui rappelle celui de The Prisoner. La série britannique n’existait pas encore à l'époque du film mais la filiation semble évidente : on y retrouve cet univers paranoïaque, où la suspicion est omniprésente, et cette perversion de la réalité, comme si le réel était continuellement contaminé par le rêve ou le cauchemar. Dès le générique, signé Saul Bass, le ton est donné : un visage s'étire, se contorsionne, jusqu'à n'être plus qu'une forme totalement abstraite. La réalité devient une donnée malléable, la question de l'identité est immédiatement posée. Le début du film, qui consiste en un jeu de piste totalement surréaliste, est un pur moment d'angoisse et de paranoïa. Si la nature étrange des messages et des lieux parcourus suffit à créer une ambiance anxiogène, ce sont bien les choix de mise en scène de Frankenheimer qui vont véhiculer l'impression de cauchemar éveillé : le montage, le rythme enlevé et les cadrages improbables vont rapidement nous faire perdre pied avec la réalité. Cette caméra qui filme au plus près John Randolph, son corps emprunté, son visage perlé de sueur, ne laisse rien échapper : peur et anxiété envahissent l'écran.


On sent le cinéaste totalement décomplexé et il ne va pas se priver pour multiplier ses effets : les jeux sur les luminosités, sur les formes et sur les particularités du décor, l'utilisation de la profondeur de champ, les contre-plongées et les angles de vue parfois surprenants, vont donner au film un cachet esthétique assez unique, traduisant avec insistance l'univers cauchemardesque (le summum sera atteint lors d'une bacchanale délirante). Malheureusement cette réalisation un peu trop ostentatoire finit par lasser. Un peu de retenue à ce niveau aurait été préférable, d'autant plus que Frankenheimer avait déjà fait ses preuves en matière de cinéma paranoïaque avec The Manchurian Candidate et surtout Seven Days in May. Ce qui sauve un peu ce manque de sobriété, c'est le délicieux mélange des genres auquel Frankenheimer s'est adonné en flirtant malicieusement avec le film noir, l'univers fantastique et la comédie de moeurs. Ce film, faute d'être un chef-d’œuvre, reste une belle réussite, portée notamment par un bon Rock Hudson.

Créée

le 15 févr. 2023

Critique lue 36 fois

4 j'aime

Procol Harum

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