Je ne sais pas exactement ce qui poussa Nolan à prendre pour sujet Robert Oppenheimer (parmi tous les pauvres diables qui inventèrent la dynamite, la soude caustique ou les armes à feu) mais le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il n’a pas choisi la facilité, tant l’homme est singulier, à la fois par ses aptitudes intellectuelles, son parcours et ses faiblesses.

Nolan s’intéressait vraisemblablement au scientifique depuis un moment avant de tomber sur le livre American Prometheus : The Triumph and Tragedy of J. Robert Oppenheimer, biographie retraçant les enjeux personnels et politiques du savant, son apport scientifique et son rapport à la technologies des armes. Plonger dans la tête d’un homme à l’origine d’une invention dont il ne comprend pas immédiatement toutes les conséquences – quoi qu’en fin de compte, il les devine assez vite : le sujet promettait d’être fascinant.

Qui était donc cet homme à la face anguleuse aux yeux bleus immenses, capable de lire Homère et consorts dans le texte, au-delà du raccourci facile le désignant comme le père de la bombe A ?

J’ai certainement trop attendu pour découvrir Oppenheimer et aujourd’hui je le regrette car j’ai eu le temps, au fil des mois, d’entendre tout un tas de compliments divers sur le film, quoique finalement quand j’y repense on m’a simplement dit qu’il était super mais sans m’expliquer vraiment dans le détail pourquoi.

C’est un peu comme entendre parler de Pulp Fiction pendant des décennies, le regarder enfin et … être déçu.

[car non, tout le monde n’a pas aimé Pulp Fiction, ne vous en déplaise . Pour tout vous dire, j’ai essayé à deux reprises et à deux reprises, je me suis endormie].

Mon principal problème avec Oppenheimer a reposé sur l’immersion : malgré tous les efforts entrepris par Nolan et Cillian Murphy (l’IMAX, les kilos perdus pour coller au plus près de la fine silhouette du personnage pendant ces trois heures et neuf secondes - le film le plus long à ce jour pour le réalisateur), je n’ai pas cru au personnage, car je n’ai pas vu Robert Oppenheimer : j’ai vu Cillian Murphy essayant de jouer au savant et ce savant m’apparaissait étonnement terne et sans relief.

En parallèle, j’ai trouvé le contenu scientifique très maigre et assez confus, il manquait une forme de stabilité et de sérénité à ce film, comme si Nolan l’avait réalisé dans une précipitation fiévreuse. Le temps lui aurait-il manqué pour d’obscures raisons ?

Tiens, justement parlons un peu de temps : Nolan a toujours eu un rapport à cet objet très particulier. Ici, nous basculons systématiquement entre deux temps antérieurs, l’un en couleurs et l’autre en noir et blanc.

Le choix de Nolan de raconter l’histoire d’Oppenheimer par le prisme de Lewis Strauss a complexifié assez inutilement l’histoire, quoi que le jeu de Robert Downey Jr. soit impeccable et qu’on puisse se réjouir de le voir jouer autre chose que Tony Stark.

Mon grand regret fut de voir passer la jeunesse étudiante d’Oppenheimer en Europe si vite, alors qu’à mon avis, elle constituait une partie importante de son parcours et révélatrice de sa personnalité complexe. Rien ou presque sur la dépression violente qui s’empara de lui en décembre 1925 et durant l’année qui suivit. Avant de réussir, il semble qu’il échoua un long moment, tant au laboratoire qu’auprès des femmes, ce qui le conduisit non loin d’une forme de folie et de manière plus pragmatique, à consulter des psychiatres. Où sont donc ici les failles saisissantes du génie ?

Par ailleurs, je voudrais ajouter … [mais je m’interromps un instant car la Grâce et la Subtilité qui se tenaient jusqu’ici noblement perchées sur mon épaule, s’envolent au loin dans un délicieux frôlement d’air, sachant déjà ce qui va suivre].

J’ai regretté les scènes aussi laides esthétiquement qu’inutiles sur le plan de la narration avec Jean Tatlock et Robert. Dios Mio.

Ces scènes sont un trop grand écart entre les visions célestes d’Oppenheimer qui entrevoit la friction des atomes, la libération de leur énergie dans un cosmos abstrait et puis ça.

Nolan, ne sais-tu donc pas faire comprendre au spectateur qu’un homme séduit les femmes autrement qu’en le montrant en train de coucher avec ?

Par ailleurs Jean Tatlock était médecin psychiatre, diplômée de l’Université de médecine de Stanford. Si j’avais dû me baser uniquement sur le film, j’aurais simplement retenue qu’elle était communiste, désespérée et qu’elle avait un déhanché remarquable.

Dans le même ordre idée et tant que nous y sommes, j’eusse aimé voir Kitty dans un laboratoire de biologie, puisque c’est en ce lieu que nos deux protagonistes se sont rencontrés et que l’on rende un peu justice à cette femme, qui n’était pas juste une mère au foyer alcoolique mais une biologiste intelligente, fille d’ingénieur et mariée à un médecin et à laquelle – excusez-moi d’insister – on proposa un poste au labo de physique de Caltech.

De manière générale, j’ai trouvé l’intrigue brouillonne, avec un rythme très inégal, très entrecoupé au départ, presque trop rapide puis ensuite beaucoup trop long. Pour celui qui maîtrise mal l’histoire de cette époque, en particulier sur le plan scientifique, l’enchaînement peut être difficile à suivre.

Bref, à mon grand regret, je n’ai pas été emballée, pourtant croyez bien que j’aurais aimé partager l’enthousiasme général.

Sur ce, je dois vous abandonner, j’ai une critique sur le livre de Thomas Pesquet à terminer.

Pour ceux qui veulent me lancer des tomates, soyez gentils d’aller le faire dans le champ d’à côté.

Des bisous atomiques (mais non radioactifs).

Proximah
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le 10 déc. 2023

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