Redécouvrir Orange mécanique, après l'avoir vu il y a quatre, cinq ans, c'est extraordinaire. Pourquoi donc est-ce que je n'avais pas compris la profondeur du film ? Toute sa subtilité, toutes ses images ? Pourquoi l'image si célèbre du visage aux yeux qui s'écarquillent, ne m'avait-elle pas fait tressaillir, dérangée, comme la vision de ses yeux blanchâtres, épouvantables, écarquillés par des espèces d'instruments dont lui ne peut rien faire ? Pourquoi cette scène, alors, aujourd'hui, m'a-t-elle fait tressaillir, confortablement assise, ou affalée que j'étais, à ma petite place bien rangée de spectatrice ? Pourquoi, alors que j'avais seulement 16, 17 ans, j'étais restée inerte, impassible, devant ce film d'une monstruosité sans bornes ? C'est qu'alors, je n'avais sûrement pas compris le message, la profondeur du film, la subtilité se dégageant de chaque scène, la profonde ironie qui se loge, en permanence.
J'ai revue Orange mécanique. Et j'en suis toute bousculée, réjouie par ce film monstre, à la mise en scène monstre. Tout simplement extraordinaire.


Parce que Orange mécanique pose la question de l'humain, dans toute sa cruauté, sa monstruosité, son inhumanisme le plus profond. Parce que je n'avais pas capté ça il y a quatre, cinq ans. Parce qu'il y a quatre cinq ans, j'avais juste vu un film que j'avais trouvé chouette, mais dont au final, je n'avais pas vraiment compris le fond. Étrange alors, que les scènes de viol ne m'avaient pas fait retournée dans mon fauteuil.
Ainsi, je me souviens que lorsque j'avais vu le film pour la première fois, je m'attendais à autre chose de beaucoup plus violent, épouvantable, je l'avais d'ailleurs vu à reculons, à petits pas. L'image que l'on en a dans la tête est toujours plus vive, monstrueuse et extrapolée que la réalité. L'image du film que j'avais dans la tête, entendue maintes et maintes fois, comme quoi c'était un film ignoble, abjecte... L'horreur de ma mère, qui extrapole toujours trop en ce qui concerne les films, la moindre vue de violence, de sang au cinéma, la faisant taper du pied ridiculement.
Cela m'avait fait exactement la même chose avec Requiem for a dream et Le dernier Tango à Paris. Films tous deux d'une monstruosité sans bornes, mais qui, sur le coup, m'avaient parus fades tellement on m'avait vendu ses deux films comme l'horreur suprême, gargantuesque, abominable, au point que j'ai fini par regarder les films à reculons, en me préparent avant psychologiquement. En fait, la vision fantasmée du film dépassait amplement sa réalité même. Et je déteste avoir de telles attentes. Cela enlève l'immense réalité du film.
Aller savoir pourquoi, je suis peut-être bizarre moi, de ne pas frémir devant de telles œuvres grandiloquences et déchiquetées par la rage.


Ainsi, il y a le fond. Ici et maintenant, je l'ai reçu en pleine face le fond. Comme une tarte à la crème, comme l'assiette de spaghetti à la bolognaise dans laquelle le narrateur s'écroule, tête la première.
Et après, c'est dégueulasse. Les humains sont dégueulasses. Tous autant qu'ils sont, répugnants, se dorlotant dans leur propre ignominie, en prenant soin de ne pas tomber dans l'exactitude, la bonté, la gentillesse.
Orange mécanique commence, et avec ça l'ahurissante musique d'introduction. Avec ça, tout l'univers foudroyant d'un monde ovni, coincé entre futurisme et années 70, rétro et kitch, ironie du mauvais goût chez tout un chacun, ironie des mots, ironie des images, des cadrages, des situations. Humour noir, décadent, provocateur. Et pourtant, c'est loin d'être drôle, heureusement. Parce que celui qui me dira que voir des femmes se faire violer c'est drôle, je lui mettrais mon poing dans la gueule moi (je suis non-violente, mais on peut toujours faire des exceptions pour les sales types). Bref.
Oui, Orange mécanique est cruel. D'une cruauté immonde, gargantuesque. D'un inhumanisme permanent, et pas seulement chez ses drôles d'asticots, nommés "droogs", dangereux, fou
furieux, obsédés sexuels, triples salauds intégral, qu'on devrait enfermer à vie.
Ici, la bonté n'a pas lieu d'être. Ici, la cruauté s'immisce partout, tout le temps, dans chaque individus. Que ce soit chez les parents, atrocement mielleux, chez le coloc, l'homme en fauteuil roulant, les flics, les médecins. Il n'y en a pas un pour rattraper l'autre. Alors finalement, le film est une grande gueguerre entre tout un chacun, et on ne peut s'identifier à personne.
Pourtant, comme avec Al Pacino dans Scarface, on a de l'empathie pour le personnage principal à un certain moment donné du film, parce qu'autrement, le film ne fonctionnerait pas.
Ainsi ce que pose Orange Mécanique, ce que nous pose Alex, ce sont ces questionnements intemporels, indéniables, qui restent encrés dans les vicissitude des vies, au plus profond de la conscience humaine.


Qu'est-ce qui constitue l'être humain ? Un monde de chair et de sang, de pensée, d'intelligence, d'humanité. Et si la question du choix ne se pose plus, est-on toujours humain ? S'il nous reste alors dans la vie qu'une seule possibilité, qu'un seul et unique choix à effectuer, et rien d'autre. Est-on alors toujours humain ? L'emprisonnement fait-il de nous des êtres humains ?
Mais alors, est-ce que violer, massacrer, abuser d'extrême violence fait de l'être un humain ?
Qu'est-ce que l'humain ?
La question ne date pas d'hier. Orange mécanique ne fait rien d'autre que de recycler un sujet existant depuis des millénaires. Blade Runner, Apocalypse now, Full metal Jacket, Voyage au bout de l'enfer, 2001, ils l'ont tous fait. Et Kubrick, dont je connais peu la filmographie, semble aimer ce sujet vaste et fourmillant.
Ainsi, Orange Mécanique nous met dans l’embarras face à de telles questions, évidemment en suspend. Car il n'y a pas de réponses, il n'y en a jamais eu. Il n'y a que des questions, encore et toujours.


Ainsi Orange Mécanique fonctionne comme quelque chose d'infiniment parfait, avec son esthétique monstre, ses images monstres, sa profonde violence qui se tient là comme pour nous heurter, et nous poser les questions qui bousculent le cerveau. Alex, qui se trouve là accroupi sur le sol, produisant d'abominables rots à l'aide de sa bouche, léchant la semelle d'une chaussure, ne pouvant faire autrement, ça n'a pas de mots. Monstre devenue loque, légume. Alors qu'est-ce que l'humain ? Évidemment pas le monstre qu'à été Alex, ni même l'affreux légume qu'il est aujourd'hui. Probablement pas la violence dans les visages, la cruauté de part le monde, le manque d'humanisme chez tout être.
Mais le manque d'humanisme, la violence, la cruauté, ne fait-elle pas aussi partie, quelque part, de l'humain ? Ne faut-il pas avoir cette plénitude, cette nécessité à ressentir toutes les émotions, pour ce considérer comme un être humain ?
Il n'y a que des questions. Jamais de réponses. Et c'est en cela que les choses sont fascinantes.
C'est en cela que Orange mécanique est un film fascinant. Cruel oui, mais fascinant.

Lunette

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