Sorti en juin 1977, soit près d'un an avant la sortie de Jaws 2, Orca (de son vrai titre L'Orque assassinée) peut-être considéré aujourd'hui comme un des rares ersatz réussis des Dents de la mer, à ceci près, bien entendu, que l'animal vedette n'est ici pas un grand requin blanc mais un épaulard, animal à la réputation pourtant plus positive et rassurante. Toujours prêt à suivre les tendances cinématographiques de l'époque, le producteur Dino De Laurentiis décidait ainsi de s'attaquer au film de terreur aquatique et concluait de la sorte sa trilogie des "monstres", initiée par le remake de King Kong et poursuivi par Le Bison Blanc et Orca, ces deux derniers films étant d'ailleurs sortis à quelques mois d'écart. La réalisation d'Orca fut confiée à Michael Anderson, un grand habitué des films marins et réalisateur de quelques classiques de l'anticipation (1984, L'âge de Cristal), assisté ici pour l'occasion par Brian W.Cook, célèbre assistant-réalisateur de Stanley Kubrick. A sa sortie, le film fut un modeste succès, à tel point que les producteurs de la saga Jaws lui adresseront même un clin d'oeil au début de Jaws 2, lorsque Martin Brody découvrira un épaulard échoué sur la plage, et apparemment victime du monstre d'Amity.


Lors d'une expédition dans les eaux, au large de Terre-Neuve, le Capitaine Nolan sauve la jeune océanographe Rachel d'une attaque de grand blanc. Mais au cours du sauvetage, un des hommes de Nolan, Ken, tombe à l'eau et est attaqué par le requin. Il est finalement sauvé par l'intervention d'une orque femelle qui tue aussitôt le squale et permet au jeune homme d'être secouru par l'équipage de Nolan. Obsédé par cette rencontre et la remarquable intelligence des orques, ce dernier se met alors en tête de capturer la femelle pour la revendre à un zoo, malgré les mises en garde de Rachel. L'opération tourne mal et la femelle orque se blesse grièvement sur l'hélice du bateau. L'équipage la hisse alors sur le pont et assistent avec horreur à sa mise à bas d'un foetus agonisant que Nolan éjecte aussitôt dans la mer. Tout cela se passe sous le regard impuissant et les plaintes de l'orque mâle. Dès lors, celui-ci n'aura de cesse de poursuivre Nolan de sa vengeance et s'en prendra tout autant aux membres de son équipage qu'aux autres marins du port. Une guerre sans merci va alors opposer le capitaine à l'animal qui le traque.


Bien qu'il se présente comme un ersatz des Dents de la mer, Orca s'en démarque pourtant par sa mécanique narrative et la thématique qui lui est propre. Car il s'agit plutôt ici d'un pur film de vengeance animalière lorgnant clairement sur l'antagonisme au centre du roman Moby Dick d'Herman Melville. Animé par la colère, l'épaulard ne cessera de poursuivre le capitaine Nolan de sa vindicte, poussant aussi ce dernier à lui vouer une haine féroce pour les proches auxquels il s'en est pris en voulant l'atteindre. En confrontant l'homme et la bête dans une intrigue essentiellement vengeresse, Orca aurait pu facilement dériver vers les poncifs du nanar, d'autant plus que la réalisation de certaines séquences peut paraitre assez bâclée. Pourtant, le scénario du film réussit à dresser une comparaison intéressante entre ces deux protagonistes, les mettant constamment en opposition dans leur chassé-croisé vengeur tout en mettant en parallèle leurs similitudes et leur trajectoire. Du côté de l'homme, c'est le regretté Richard Harris qui est à l'honneur dans ce rôle de loup des mers, homme à femme plutôt charismatique et non dénué de bon sens, qui semble totalement dépassé par la hargne surnaturelle de son poursuivant. Le premier interprète de Dumbledore se révèle ici tout simplement impeccable dans un rôle ambigu au possible qui appelle autant l'empathie que le mépris du spectateur. Le regard bleu azur de l'acteur, son charisme magnétique et son jeu ambivalent, soulignent tout autant la hargne que la vulnérabilité d'un personnage dont n'importe quel autre réalisateur aurait pu faire un simple salaud.


Du côté de l'animal, le scénario se sert adroitement des quelques particularités connues de l'espèce des orques pour dérouler son intrigue. Les épaulards sont ainsi réputés pour être des animaux marins à l'intelligence supérieure aux autres espèces, plus encore que les dauphins dont ils partagent bon nombre de similitudes. Ce sont des super-prédateurs dans leur environnement, qui ne craignent aucun chasseur si ce n'est l'homme. Ils éprouvent de l'empathie, ont une mémoire phénoménale, évoluent en groupe et arrivent à communiquer et vocaliser avec leurs congénères. Dans ce film, l'épaulard est endeuillé et donc essentiellement solitaire, et sa soif de vengeance surnaturelle semble en faire une authentique némésis pour sa proie, notamment dans sa manière de traquer Nolan et de se plaire à le tourmenter. Qui plus est, le parcours de l'animal prend une aura réellement tragique dans le fait que l'orque est effectivement un animal monogame, connu pour n'avoir qu'un seul partenaire dans sa vie et se laissant ensuite dépérir s'il en vient à perdre ce dernier, selon les observations de certains océanographes. Orca suppose ainsi que les agissements de son animal vedette sont essentiellement motivés par l'affection que ce dernier portait à sa femelle.


Le final, d'un pessimisme bouleversant, verra ainsi l'épaulard survivant devenir vagabond et disparaitre dans les eaux noires du pôle, le réalisateur semblant évoquer l'errance finale d'une créature vouée à se laisser mourir puisqu'étant blessée et n'ayant plus aucun but.


Sublimé par le score d'Ennio Morricone, Orca bénéficie aussi d'un casting de haute volée. Aux côtés de Richard Harris et face à l'orque, on retrouve ainsi la jeune Charlotte Rampling, sublime dans un rôle d'océanographe témoin du combat entre les deux protagonistes, Will Sampson, le géant amérindien jouant ici un professeur se joignant à Nolan, et la jeune débutante Bo Derek, dont l'innocence et la beauté diaphane ne préserveront pas son personnage d'un sort injuste. Le film compte quelques scènes marquantes, particulièrement traumatisantes dans leur mise en scène, comme la fameuse scène du foetus tombant sur le pont du bateau, de la destruction de la maison sur pilotis et même cette confrontation finale dans les eaux glacées du pôle.
Depuis sa sortie, Orca a beau être tombé un peu dans les limbes du cinéma de genre, il n'en reste pas moins un excellent film fantastique et une des meilleures déclinaisons du parangon spielbergien. C'est aussi un rappel poignant à la préservation et à la compréhension de cette formidable espèce qui, comme les autres odontocètes, souffre toujours de la bêtise et des intérêts de son seul prédateur.

Buddy_Noone

Écrit par

Critique lue 1.4K fois

15
20

D'autres avis sur Orca

Orca
Ugly
7

L'orque vengeur

Je me souviens que j'avais vu ce film fin 1977 juste avant de partir faire mon service militaire, à cette époque j'allais en salles voir des films uniquement pour me distraire et non pour réfléchir,...

Par

le 3 juil. 2020

28 j'aime

18

Orca
Behind_the_Mask
8

Nature humaine

Tout comme l'un de mes éclaireurs, Orca est l'un des premiers films à avoir marqué mon enfance. L'image de l'embryon sur le pont du bateau, les cris déchirants de l'orque ou la séquence de la maison...

le 6 déc. 2014

19 j'aime

2

Orca
Buddy_Noone
8

Les assassins

Sorti en juin 1977, soit près d'un an avant la sortie de Jaws 2, Orca (de son vrai titre L'Orque assassinée) peut-être considéré aujourd'hui comme un des rares ersatz réussis des Dents de la mer, à...

le 15 oct. 2020

15 j'aime

20

Du même critique

Les Fils de l'homme
Buddy_Noone
9

La balade de Théo

Novembre 2027. L'humanité agonise, aucune naissance n'a eu lieu depuis 18 ans. Pas l'ombre d'un seul enfant dans le monde. Tandis que le cadet de l'humanité vient d'être assassiné et que le monde...

le 18 juil. 2014

92 j'aime

6

Jurassic World
Buddy_Noone
4

Ingen-Yutani

En 1993, sortait avec le succès que l'on sait le premier opus de la franchise Jurassic Park. En combinant les différentes techniques de SFX et en poussant à leur paroxysme des images de synthèse...

le 16 juin 2015

84 j'aime

32