Ken Man

Oui (traduction littérale du "ken" hébraïque) est un film chaotique. Mais commençons directement par ce qu'il n'est pas : un film polémique. Présenté comme un brûlot à la limite de l'antisionisme, refusé successivement par tous les festivals de films internationaux pour des motifs obscurs, Oui ne fait que refléter le malaise d'une partie de la société israélienne, dû autant aux horreurs à peine prononçables du 7 octobre, dont la seule description tiendra en un monologue au rythme express comme si on devait se débarrasser le plus vite possible de ce poids atroce, qu'à la conduite d'une guerre qui se rapproche de plus en plus d'un massacre unilatéral. Rien de polémique ici.

Le choc vient surtout de la forme du film, qui part dans tous les sens à chaque instant. Les mouvements de caméra brusques, erratiques, épileptiques jusqu'au dégoût sont légion, pâle écho du stress de toute une société. Les dialogues tiennent davantage du théâtre, avec des personnages qui se parlent à peine, qui changent de sujet presque à chaque phrase. Surtout, c'est la décadence montrée à l'écran qui saute aux yeux, menée tambour battant par deux acteurs incroyables - à se demander s'ils ne sont pas tous les deux complètement tarés pour de vrai. Le couple, et surtout le personnage principal, sorte de musicien-clown déjanté, accepte toutes les humiliations tant qu'elles sont exercées par des gens riches et puissants : léchage littéral de bottes d'un oligarque russe, prostitution et léchage d'oreilles, noyades simulées dans des punchs... Jusqu'à l'humiliation ultime : écrire un hymne guerrier pour le nouvel Israël. (Hymne aux paroles immondes, et qui a vraiment été écrit et diffusé dès novembre 2023, pour la petite histoire.)

Finalement, le message politique de Oui est le parfait contrepied à celui de Yes Man : dire "oui" à tout n'est que la preuve d'une soumission à un pouvoir dégueulasse, et la cause d'une dissonance destructrice. Ainsi ce couple, traumatisé par le 7 octobre et résolument contre la guerre à Gaza, ne fait que fricoter avec les profiteurs de la guerre, militaires haut-gradés et marchands d'armes, pour ne grappiller qu'une petite partie de leur richesse indécente. Cela causera la perte de leurs repères moraux et sentimentaux, et un voyage au bout de la nuit. Tout le film est autour du brouillage, entre hyper-réalisme et fantastique (la gratte-ciel qui naît comme par magie), entre morale et luxe, entre musique techno et Love me tender, entre amour ici et guerre là-bas (d'où seuls le son et la fumée d'explosions véritables traversent la frontière), entre amour et haine au sein couple. Satyre anti-nihiliste, Oui est sûrement un film nécessaire, surtout en 2025.