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Film de Nadav Lapid (2025)

Si Nadav Lapid, en témoignent ses films précédents, a toujours entretenu avec son pays des relations pour le moins conflictuelles, les attaques du 07 octobre 2023, et plus particulièrement la réaction d’Israël à la suite du drame, semblent avoir marqué un point de rupture définitif. C’est en tout cas ce qui ressort très clairement de ce Oui, véritable tornade excessive et enragée au possible dans laquelle le réalisateur règle ses comptes avec sa patrie d’origine.


On ne peut s’empêcher de penser à l’œuvre de Radu Jude lors du visionnage, tant le long-métrage de Lapid semble partager avec le cinéaste roumain ce rejet assumé de l’élégance et de l’esthétisme arty au profit d’une charge politique frontale et d’une mise en scène volontairement sale et provocatrice (mais clairement pas dépourvue d’audace) comme seul moyen décent de représenter toute la laideur et l’absurdité d’un monde arrivé au stade terminal de la folie. Ainsi, la première partie du long-métrage, ayant quasi-exclusivement pour cadre une fête orgiaque organisée par l’élite économique du pays, enchaîne sans temps mort vulgarité clinquante, bouffonnerie grotesque, éclats absurdes (ces têtes qui se transforment en écrans), mouvements de caméra hystériques et musique assourdissante, au point de générer une sensation d’inconfort purement physique chez le spectateur. Un capharnaüm visuel et sonore traduisant tout autant la superficialité de l’existence des deux protagonistes, Y. et Jasmine, couple d’artistes précaires se prostituant auprès des puissants pour conserver leur train de vie, que la dérive d’une société israélienne aveuglée par le désir de vengeance et soumise à la propagande guerrière du gouvernement. Un gouvernement confiant à Y. la tâche de créer un nouvel hymne national exaltant la fierté patriotique et la soif de sang et de représailles envers l’ennemi palestinien.


Ce personnage lâche et soumis, en opposition aux héros contestataires des autres films de Lapid, et dans lequel le réalisateur projette visiblement bon nombre de ses angoisses et interrogations relatives au rôle de l’artiste en période de crise (à quel moment le compromis devient-il acceptation tacite de l’indéfendable ? Est-on vraiment légitime à contester l’ordre en place lorsqu’on en profite soi-même pour mener son projet à bien ?), est au cœur de la seconde partie du long-métrage, vaste errance existentielle et contemplative de Y. à travers son pays, en décalage totale avec la frénésie tonitruante des premières minutes. Là encore, on pense aux derniers films de Jude et à leur construction en trois actes esthétiquement distincts. Face à lui-même et à son ex-petite amie journaliste bien plus engagée (interprétée d’ailleurs par la femme du cinéaste), Y. voit ses certitudes vaciller en même temps que son déni de la réalité, incapable d’échapper aux explosions résonnant en permanence du côté de la frontière (de même que les rythmiques pop de la fête se voyaient régulièrement parasitées par les hurlements des victimes de bombardements se superposant aux titres des articles consultés par Yasmine sur son téléphone).


Une tentative de remise en question violemment battue en brèche par la dernière partie, déprimante au possible et renouant avec la folie de l’ouverture, qui voit Y. payer le prix de sa veulerie et de sa lâcheté par la perte de son âme. Dans cette illustration très littérale de l’expression « lécher les bottes de l’oppresseur », où seul le personnage de Yasmine, de par sa prise de conscience, se voit offrir une porte de sortie par le réalisateur, transparaissent toute la rage et le désespoir de Lapid face à la montée en puissance d’une barbarie qui aurait pu (et du) être contrée en opposant au « oui » servile » un « non » ferme et définitif.

Little-John
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le 16 sept. 2025

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Little John

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