Après deux films à la réception plutôt désastreuse (La Bostella et Akoibon), Edouard Baer a repris la casquette de réalisateur pour ce qu'il qualifie de « déambulation nocturne » dans Paris. L'acteur et animateur de radio est également le personnage principal, un directeur de théâtre volage, adepte d'un 'soft power' particulièrement vicieux et insaisissable (il se fout de ses responsabilités mais jamais au point de les ignorer). Ce Luigi ressemble de très près à Baer lui-même. La présence de Galabru dans son propre rôle (quelques semaines avant sa mort – survenue sept jours avant la sortie) contribue à entretenir ce flou ; on se demande si certains ne sont pas également censés se mettre en scène ou se décalquer. Elle sert aussi l'hommage, non discret mais compartimenté, au 'milieu', aux artistes et à la scène (cette bouderie de Galabru ferait référence aux frustrations éprouvées par Serrault face à ses 'directeurs'). Les premières minutes dans le théâtre (coulisses et le reste), avec la caméra mobile et l'apparente non-interruption, flirtent avec la logique de plan-séquence (le film n'ira pas relever ce défi – vaseux) et renvoient inévitablement à Birdman (ou à certaines séquences 'aériennes' chez De Palma, mais l'autre option a plus de chances d'être volontaire).


Avec ce film Baer semble vouloir s'astiquer lui-même. Il se coltine des vannes pourries en rafale. Ses réactions de kéké-Nova amateur d'insolite ou d'improbable, même très light, en revanche ne sont jamais à décharge – si ce n'est pour souligner sa mesquinerie, qui est loin de l'amoindrir et de s'accompagner de sentiments poisseux. L'entourage de Luigi est en admiration béate envers lui, sauf les plus proches qui arrivent à usure (la stagiaire embarquée dans cette virée n'aura pas attendu des années pour saturer). Quand Baer force sur le foutage de gueule tout juste masqué (mais pas relevé par les gens, obnubilés par son charme ou son baratin), la chimie commence à opérer ; mais dans l'ensemble ce happening est trop paresseux. L'expression 'ne pas se prendre la tête' s'applique ; Baer ne se la prend pas à bon escient, juste pour jouer et en rajouter un peu, prendre celle des autres pour des billes. Il compte sur son humour et son côté virevoltant ; l'absence de répondant, d'accrochage sérieux et d'approfondissement donne l'impression d'un 'work in progress' dont même l'auto-satisfaction sent le réflexe périmé. S'y ajoute une tartine vaguement démago avec le brassage social de l'escapade – Baer estime nous faire visiter sa France « entre Sacha Guitry, Jamel Debbouze et les mythos de comptoir », ce qui se traduit par un mix de Paris populo, galerie des artistes (souvent des bourrins) et de bars ou hôtels mondains (parfois infiltrés par la demi-gueusaille – c'est samedi soir).


Audrey Tautou est la seule interprète ayant l'occasion d'ajouter une valeur sans avoir à se noyer dans le stéréotype ou la parodie – elle campe une personne paradoxale, femme 'bébé' en position d'autorité, parfois sarcastique. Baer pratique un cabotinage un peu mou pour représenter son double le cabotin essoufflé (s'il y a une cohérence elle est plombante pour l’œuvre avant tout). Ouvert la nuit est censé ménager de la caricature et du pittoresque : il échoue sur les deux plans. Les caricatures sont désuètes et creuses, le pittoresque ne tient que sur des 'coups' au maximum (le génie des fleurs et l'insoumis de l'accueil). La séance s'attache au clash coincés rigoureux et non-réceptifs vs yolomen culturo-mondains, au lieu d'explorer les belles variétés de crétins à portée. Les gags sont pauvres et répétés inlassablement. Peut-être fallait-il taper plus fort, oser briser la glace et se rapprocher du leitmotiv de Toni Erdmann ? Malheureusement le film ne saurait être si déterminé et reste par défaut flottant autour de la comédie. Baer se condamne à pratiquer une autodérision aseptisée avec remise en question sur-empruntée – d'où la rédemption du connard/adulescent ratée de la dernière partie, car les caractères sont trop bâclés pour être encore simplement 'fuyants'.


https://zogarok.wordpress.com/2018/01/04/ouvert-la-nuit/

Zogarok

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