Esthétisme à outrance

Sanjay Leela Bensali fait de très beaux films.
Des films tellement beaux que la forme prime trop sur le fond.
C'est ce qu'il se passe dans Bajirao Mastaani par exemple et c'est ce qu'il se passe dans Padmavati.

Le sujet est pourtant intéressant. Une héroïne légendaire de l'histoire indienne, un récit basé sur un poème traditionnel, une belle histoire d'amour, une obsession malsaine, des combats et des trahisons.

Malheureusement, le réalisateur s'attache tant à magnifier ses décors, ses costumes et ses acteurs qu'il oublie de développer les personnages.
Ceux-ci sont réduits à des caricatures, plus que des archétypes, ne laissant que peu de latitude aux acteurs pour les faire vivre vraiment à l'écran.
L'exemple le plus flagrant est celui d'Allaudin, interpréter avec peu de finesse par Ranveer Singh. Singh n'est pas le meilleur acteur de Bollywood, peu s'en faut, mais il n'est cependant pas un incapable. Ici, son jeu est outrancier, caricatural et le scénario donne tellement peu de raison à son personnage d'être comme il est que le malheureux ne peut faire autrement que de surjouer pour arriver à un semblant de relief. En effet, si rien ne justifie ses obsessions, il ne peut qu'être fou. Malheureusement, une fois que ceci est établi, rien ne viendra remettre cela en question, rien ne viendra l'enrichir et le personnage sera identique du début à la fin.

En ce qui concerne Padmavati et son bel époux Ratan Singh, si on accepte une romance rapide façon conte de fée, leur couple marié semble factice. Il est toujours difficile de dépasser le "ils furent heureux et ils eurent beaucoup d'enfants". En effet , passé la romance éclair filmée comme un Disney, leur couple a du mal à vivre à l'écran et j'ai peiné à voir ce qu'ils pouvaient bien faire ensemble. Ils semblent plus unis par l'honneur que par l'amour, ce que n'est déjà pas mal.

Si on comprend l'insulte faite à Ratan Singh par Allaudin quand il exige de voir le visage de la reine, on comprend mal la gravité de la chose quand l'actrice se promène à visage découvert devant tous les hommes du casting. Pourquoi eux et pas Allaudin? Au final cette lutte finira par sembler très creuse entre celui qui veut voir et celle qui ne veut pas se montrer l'un et l'autre sans raison profonde exprimée ou expliquée.
Au final, Padmavati que l'on est sensés admirer est un personnage trop dur et intransigeant pour être aimable et Ratan Singh est tellement honorable qu'il est responsable de la chute de son royaume et de la mort de milliers de ses sujets.

Certes c'est traité comme un conte, une légende, mais il est difficile de s'impliquer dans l'histoire de personnages trop rigides dans un environnement sur-travaillé.

Les acteurs ne déméritent pas même si on les sent vraiment enfermés dans le carcan de leur personnage.

Quant à la fin, qui bénéficie de son avertissement et de son disclaimer en début de film (bonjour le spoil), je suis bien sûr très partagée. Ce n'est pas une glorification de l'acte ou une approbation, mais son acte est applaudi et a fait d'elle une déesse.
Autre temps autre moeurs me direz vous et avec raison. Mais après la mise en avant tout le film que les femmes du Rajastan sont aussi guerrières que leurs hommes, qu'elles savent se défendre, les voir choisir cette solution laisse perplexe quant au message transmis.
Ce sont des faits historiques, ils sont donc immuables (et encore) mais le regard porté sur l'héroïne et son acte n'est pas neutre.

Ce n'est pas un mauvais film mais il manque de profondeur par rapport au sujet qu'il traite.