Joe Dante est l'un des réalisateurs d'Hollywood les plus intéressants. Sorte de côté obscur d'un Spielberg, son humour noir et grinçant associé à son talent de narrateur a fait mouche dans l'excellentissime Gremlins, pour ne citer que son effort le plus connu. Malheureusement, le système hollywoodien ne semble pas lui convenir, pour preuve ses innombrables brouilles avec ses producteurs, même Spielberg pourtant fervent défenseur du bonhomme fût une époque. Son amour du film du genre et des figures horrifiques qui explose aussi dans Hurlements, l'un des meilleurs films de loup-garou, ne semble pas s'accommoder des règles du buisness blockbuster et, tristement, se retrouve aux manettes de films de plus en plus obscurs (le dernier en date serait The Hole 3D, passé totalement inaperçu). Et pourtant, on tenait quelqu'un de fondamentalement sincère, et le film qui nous intéresse ici en est le témoignage parfait.

En 1962, pendant la crise des missiles à Cuba, Gene un jeune fan des serials et des Matinées du samedi, arrive avec sa famille à Key West, une petite ville de Floride. Son père, militaire, ayant quitté sa base pour une mission, il se retrouve seul à la maison avec sa mère morte d'inquiétude et son jeune frère. Le cinéma est presque sa seule façon d'oublier l'angoisse (disparition de son père, guerre nucléaire...). C'est alors qu'arrive en ville le cinéaste producteur Lawrence Woolsey, spécialiste du cinéma d'exploitation et de la série B horrifique qui compense le manque d'originalité du scénario de ses film par une série de trucs divers, coups de pubs ou gadgets disséminés dans la salle pour attirer le public.

Une comparaison, dans les grandes lignes, peut être faite avec Last Action Hero. On retrouve dans les deux films un respect total pour un genre, ici l'horreur classique, même si Panique sur Florida Beach joue plus sur la ficelle nostalgique. Nostalgie d'un genre qui n'a plus sa place dans une époque où le torture flick est roi, où les CGI ont remplacé les maquillages artisanaux et où le gore s'est démocratisé au point de devenir inoffensif.
Sa description d'une consommation du cinéma, en tant que lieu, aujourd'hui sans âme et aussi froid qu'une morgue, a le don de faire prendre conscience que ce média n'a pas bien évolué. La faute, et on doit aussi le comprendre même si ça fait mal, à une réalité économique qui fait du cinéma tout public actuel un buisness bien plus qu'un divertissement.
Le personnage, joué par l'excellent Goodman, est bien entendu un hommage à Castle et Corman, deux grandes figures du genre, producteurs d'une tonne de bijoux aujourd'hui quasiment oubliés. Un personnage assoiffé de thunes et prêt à tout pour faire fortune, comme le montre une scène hilarante où le bonhomme, alors en pleine discussion avec sa femme, aperçoit un alligator en plastique et commence à divaguer à haute voix en lançant des titres de films absurdes : "wahou : Humanogator ! Crocoman ! éh petit tu me fais le pare brise ! Saloperie d'insectes. Et si on lançait une fille ? Nanagator !". Mais vouloir faire fortune n'était pas tout, car l'amour du genre était quand même bien présent, comme le montre toute la séquence de projection, avec un vrai spectacle organisé pour une salle en délire, et une grande satisfaction devant le succès visible.

Si Dante situe son action en plein pendant la guerre froide, ce n'est pas que pour parler et rendre hommage à tout un pan du cinéma de genre, c'est aussi pour laisser son humour noir se déchaîner sur quelques situations cocasses. La peur de l'Est qui se cache derrière le nucléaire fait mouche, comme avec ce directeur de cinéma complètement parano qui se construit un abri atomique et se ballade avec, en permanence, une radio pour le tenir informé des évènements à Cuba.
Cet aspect prend une importance singulière pendant tout le métrage, et culmine lors d'un final électrisant, pertinent et très bien imagé. Alors que la petite ville retrouve son calme, que les deux enfants-tête d'affiche gazouillent, le producteur s'en va vers d'autres avant-premières alors que le père du gamin revient de sa mission militaire. L'hélicoptère passe au-dessus des enfants, le bruit est assourdissant, l'image bouffée par l'engin de guerre qui jette une ombre menaçante sur les deux tourtereaux. Nous grandirons toujours dans la peur, mais le cinéma de genre est là pour nous le faire oublier quelques minutes...
Bavaria
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur.

Créée

le 14 juil. 2010

Critique lue 801 fois

26 j'aime

3 commentaires

Critique lue 801 fois

26
3

D'autres avis sur Panic sur Florida Beach

Panic sur Florida Beach
Sergent_Pepper
8

Feel Safe.

Beaucoup le savent, mais le répéter ne fera de mal à personne : Joe Dante est un homme indispensable au cinéma. Orfèvre de l’image, inventeur fou, enfant éternel, c’est une créature en jubilation...

le 3 déc. 2014

68 j'aime

4

Panic sur Florida Beach
Gand-Alf
10

RumbleRama.

Près de trois ans après le semi-échec du pourtant délirant Gremlins 2, le cinéaste Joe Dante revenait sur les écrans géants avec ce projet ô combien personnel, mais qui ne connaîtra malheureusement...

le 18 avr. 2015

39 j'aime

3

Panic sur Florida Beach
guyness
6

Goodman fourmi-dable dans une histoire confon-Dante

Mâtin, quel film étrange ! Premier paradoxe: on est persuadé d'assister à un film des années 80 (années de naissance artistique du Joe Dante), et on est donc étonné d'être passé à côté à l'époque (en...

le 26 juin 2011

35 j'aime

3

Du même critique

Taxi Driver
Bavaria
10

Critique de Taxi Driver par Mickaël Barbato

BEST. FILM. EVER. Taxi Driver semble sorti du plus profond des tripes d'un scénariste en état de grâce (Schrader) et d'un réal tout simplement génial. Description sans concessions, ou presque...

le 29 nov. 2010

84 j'aime

8

Il était une fois dans l'Ouest
Bavaria
10

Critique de Il était une fois dans l'Ouest par Mickaël Barbato

Voilà le film le plus définitivement contemplatif qu'on puisse voir. Leone, tout comme Kubrick, était un cinéaste de l'esthétique. Ce sens peu commun, voir en désuétude de nos jours, allié à son...

le 3 mai 2010

80 j'aime

5

Le Festin nu
Bavaria
8

Critique de Le Festin nu par Mickaël Barbato

William Lee, junkie et dératiseur, est forcé de fuir le pays après avoir accidentellement tué sa femme, trouvant refuge en Afrique du Nord. Sur place, il pense être un agent secret tombé en plein...

le 17 févr. 2011

79 j'aime

2