Ah, Cannes. Ta Croisette, tes stars, tes tapis rouges, tes marches et, surtout, tes films. Au fur et à mesure que tu t’es dévoilé cette année, tu n’as cessé de nous faire nous impatienter, à force d’annoncer tous ces noms prestigieux qui nous laissaient présager une quinzaine d’exception. Les uns après les autres, ils ont joué leurs cartes, certains confirmant, d’autres surprenant. On savait déjà, un peu, en qui on pouvait avoir confiance. Bong Joon-ho faisait partie de ces noms dont on attend toujours des nouvelles. Et oui, j’attendais son Parasite, mais je ne pensais pas forcément qu’il allait m’offrir ma plus grosse claque du festival, et de loin.


On commence à bien connaître le prodige coréen, qui s’est fait connaître du monde entier avec son grand Memories of Murder, qui marqua un tournant dans l’histoire du polar coréen, rouvrant la voie à toute une lignée de films d’exception. Depuis, Bong Joon-ho s’est amusé à varier les styles et les genres, en proposant toujours quelque chose de percutant et de pertinent, avec des discours forts, sondant la relation mère-fils dans Mother, incarnant les dérives et les excès de l’humanité dans The Host, ou défendant la nature dans Okja. La réalisation d’une comédie noire sur la société coréenne était donc tout à fait cohérente et avait toute sa place dans sa filmographie. Et je ne m’amuserai pas à parler de l’intrigue elle-même, y compris du début, tout simplement pour vous laisser le plaisir de la découverte, car vous devez absolument découvrir Parasite.


Les cinéastes coréens aiment s’attaquer à leur système et à leur société, très probablement plus pour faire réagir que par simple plaisir. Qu’il s’agisse de se moquer de la police chez Na Hong-jin dans The Chaser, ou d’invoquer le burlesque via le cinéma muet pour critiquer le monde de l’entreprise chez Ko Bong-soo dans Hello Dayoung, les films coréens mettent souvent en avant des anti-héros qui symbolisent les maux qui accablent le pays. Parasite est en plein dans ce schéma, avec cette famille pauvre dont le portrait établi n'est des plus élogieux, et qui n’hésite pas à faire preuve de malhonnêteté ou, pour être plus précis, d'opportunisme. Et Bong Joon-ho va beaucoup s’amuser. Pour synthétiser, Parasite condense tout ce qu’il y a de meilleur dans le cinéma coréen et de Bong Joon-ho, entre grande maîtrise formelle, mélange des genres, et écriture impeccable et redoutable. La mise en scène, superbe, s’adapte aux situations, est un des principaux moyens d’expression du cinéaste, pour faciliter la communication avec le spectateur. Rien n’est laissé au hasard, pour souligner l’évolution de l’intrigue et des personnages, prenant divers tournants, comme souvent dans le cinéma coréen, avec des mélanges de genres et de tons parfaitement agencés pour ne jamais générer de fausse note. Pas d’artifices, tout est parfaitement équilibré, entre la mise en scène, le jeu des acteurs et la musique, pour ne jamais donner une impression de superflu, mais être toujours le plus juste possible.


Fractures sociales, idéaux de vie dans un monde dirigé par l’argent, liens familiaux, valeurs et intégrité, Bong Joon-ho parvient, en un peu plus de deux heures, à balayer un très large spectre de thématiques auxquelles l’humanité s’intéresse depuis la nuit des temps. A chaque fois que le film franchit un seuil, il va encore plus loin, sans jamais, pourtant, dévier de sa trajectoire, restant toujours cadré par une maîtrise irréprochable qui permet de tenir le spectateur en haleine de bout en bout. On rit, on a peur, on grince des dents, on comprend, on condamne, on se moque, on a pitié… Parasite nous fait passer par toutes les émotions et par tous les états possibles, et on ne peut pas en dire autant de beaucoup de films.


Il y a tant à dire de Parasite, et pourtant, le tout est de ne pas trop en dire. Ne pas trop en dire pour vous laisser le soin d’aborder le nouveau coup de maître de Bong Joon-ho, probablement son plus grand film depuis Memories of Murder. Ne pas trop en dire pour laisser le film vous attraper et vous piéger pour ne pas vous lâcher jusqu’à la fin. Ne pas trop en dire pour que vous savouriez la puissance d’un cinéma capable d’exceller autant sur la forme sur le fond. Ne pas trop en dire pour vous laisser le soin de vous questionner à travers toutes les péripéties qui constituent l’intrigue. Oui, j’aime définitivement le cinéma coréen, si riche, audacieux, intelligent, qui ne cesse de nous surprendre. Oui, Parasite devient, sans aucun doute mon film préféré de l’année. Et, oui, je peux vous dire que j’ai trouvé ma Palme d’or. Notez la date du 5 juin sur vos calendriers, et ne manquez pas le rendez-vous.


Critique écrite pour A la rencontre du Septième Art

JKDZ29
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le 22 mai 2019

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