Pas de vagues aurait dû recentrer son propos sur les notions d’interprétation et de contresens qui ouvrent et referment le récit : le poème de Ronsard constitue en effet une métaphore pertinente pour interroger différents sujets tabous, depuis l’étude de l’art de « dire l’amour » - inscrite dans les programmes officiels – transmise par un adulte à des enfants jusqu’à la subjectivité d’un point de vue qu’il faut relativiser en le confrontant à d’autres. Cette démarche pédagogique et analytique rencontre cependant une ambition non pas documentaire mais à l’esthétique exubérante, reflet prétendu de la culture homosexuelle ici investie qui refuse la normalité et la pudeur pour reconduire des clichés qui engagent sur le premier plan la sphère intime.
Le réalisateur Teddy Lussi-Modeste, lui-même professeur de lettres, et sa scénariste Audrey Diwan appliquent malgré eux l’amalgame qu’ils entendent dénoncer, à savoir la contamination dans le public du privé qui doit rester privé et ne jamais servir de circonstance atténuante ou d’alibi. Aussi la tentative de créer du lien par l’invitation au kebab des élèves les plus assidus apparaît-elle comme une erreur involontaire, le professeur démantelant une frontière invisible entre sa fonction et sa personne, entre les élèves et les jeunes, entre le collège et l’extérieur ; son souci de consacrer ses récréations à lire dans la cour renforce cette confusion et l’impression, en retour, d’une transgression voire d’une provocation. Le film se complaît peu à peu dans les tourments endurés par Julien : la mise en scène devient une mise à l’épreuve, le montage compose des petits tableaux qui sont autant d’étapes d’un chemin de croix laïc, rejouant par instants le huis clos paranoïaque du discutable Das Lehrerzimmer (İlker Çatak, 2024).
Ce faisant, il offre à François Civil l’occasion de réfléchir (sur) son image médiatique : le beau gosse du cinéma français se voit accusé et démantelé – nul hasard si le premier mot qu’il écrit au tableau est le verbe séduire en latin –, et l’homosexualité de son personnage lui permet de le sortir de sa zone de confort et d’atteindre une puissance nouvelle. Une œuvre imparfaite mais digne d’intérêt.