Patlabor 2
7.5
Patlabor 2

Long-métrage d'animation de Mamoru Oshii (1993)

Guerre civile de fonctionnaires : Police contre Armée

Réputés pour leurs qualités narratives et leurs mises en scènes soignées plutôt que pour le dynamisme des scènes d’actions, les Patlabor 1 et 2 se posent comme le socle sur lequel la pensée quasi philosophique de Mamoru Oshii sur le monde moderne va prendre racine. Au travers de ces deux œuvres il se fera un plaisir de nous faire part de sa vision d'un Japon post guerre froide, ou la bureaucratie - cachée derrière un formalisme cynique - met au pas toute la superstructure de l'Etat. Le réalisateur y parvient d'une main de maître sans jamais tomber dans le grotesque ou la caricature.


Ainsi se présente Patlabor 2 ou l'histoire démarre en 1999, durant un conflit armé en Asie du Sud Est alors qu’une unité de l’ONU se fait encerclée puis anéantir par les forces ennemies dans une splendide forêt tropicale. Vient alors ce magnifique moment lourd de sens, ou le capitaine Tsugé, seul survivant de l’escarmouche, sort de son tank pour contempler le carnage autour de lui puis finit part lever et figer son regard sur une statue géante du Bouddha qui lui fait face. Ce qui annonce d'emblée tout l’aspect contemplatif à venir. Ce sera le point de départ d’une multitude d’évènements mêlant intrigues politiques, enquêtes policières, et terrorisme, qui feront vaciller l’État japonais tout entier et conduiront Tokyo au bord de la guerre civile. Tout cela dans un réalisme saisissant.


Patlabor 2 se veut plus sophistiqué et plus complexe que le premier épisode. Le film peut être coupé en deux grandes parties distinctes, la première posant le contexte, l’intrigue ses enjeux ainsi que les différents protagonistes. Puis la seconde plus portée vers l’action mais toujours en gardant comme toile de fond ce regard omniscient sur cette société moderne déformée par les illusions des japonais isolés et centrés sur eux même oubliant jusqu'à leur identité et leurs passé. Il y est décrit un pays amorphe, presque abstrait, avec un peuple qui aurait bien besoin d’un électrochoc pour le forcer à un retour au réel…


C’est ici que le thème central vient se poser, thème que nous pourrons résumer très simplement par cette phrase concise mais audacieuse tirée d'un des personnage clé: «Une guerre juste est-elle plus valable qu’une paix injuste ?». Un questionnement qui place les hommes en face de leurs propres contradictions et du même coup, relaye les méchas au simple rang de machines inférieurs à l’individu contrairement à nombre d’œuvres de SF et d’anticipations ou l’Ordinateur acquiert un cerveau quasi humain voir même parfois une conscience, Mamoru Oshii lui-même explorera ce choix narratif plus tard (cf. Ghost in the Shell)… C’est pourquoi les "Labors" ces nouveaux robot bijoux de la technologie avancée ont une place secondaire et n’apparaissent que très rarement à l’écran. Ce questionnement est bien là pour replacer l'Homme au centre du monde technique qu'il a lui même crée.


C’est donc en fin de parcours autour de cette question bipolaire que Tokyo et ses habitants vont devoir se choisir un nouvel avenir. Une bipolarité dans un choix cornélien représenté par l’état de chaos et de confusion dans lequel sera plongée la mégapole aux lumières, tiraillée par les deux fantômes sans visage que sont la Police et l’Armée. Seuls dépositaires officiels du privilège de la violence sans qui L’Etat tout entier tomberait telle une pomme mûre dans la main de n'importes quels audacieux, même s'ils n'étaient qu'une petite poignée. Le réalisateur prenant un malin plaisir à nous rappeler que toutes démocratiques soient-elles, nos sociétés modernes et éclairées ne reposent en réalité que sur la Force. Pure et brute. Celle des armes et du nombre quoi qu'en pensent nos philosophes et autres intellectuels prompt a bondir sur n'importe quel régime un tant soit peu trop autoritaire à leurs yeux. Car c'est étymologiquement La Force qui surdétermine le politique. En témoigne l'état de confusion et paralysie dans lesquels se retrouve la capitale Tokyo (et du même coup, le pays tout entier) dès le moment ou ces deux seuls détenteurs de la force légale démissionnent ou pire, s'affrontent...


Qu'est ce que cela donnerait dans une France non pas uchronique mais bien réelle où nous avons une police de tendance "droite dure" (pour ne pas dire extrême) et une armée votant à 40% pour l'extrême droite ?


Une cité de Tokyo qui depuis des décennies oublie le monde extérieur et se voile sous un masque d’insouciance dans cette opulence et cette modernité soit disant enviée. Un comportement issu de la tragique histoire récente que les japonais tentent d’oublier depuis ces funestes jours de l’été 1945 c’est une évidence.


A première vu on pourrait s’attendre à voir un film d’animation classique sur les méchas, mais je dois dire pour ma part que j’ai été absolument happé et séduis par la proposition d’Oshii. On ne s’ennuie pas un instant en suivant cette enquête, l’intrigue volontairement complexifiée fait appelle à notre intellect assez régulièrement ce qui demande une grande attention de la part du spectateur. Le tout est agréablement mené, le suspense se fait sentir à chaque instant et techniquement c’est du très bon même pour aujourd’hui. Le film n’a absolument pas vieilli bien que datant de 1993 et l’animation est convaincante.


Patlabor 2 est devenu rétrospectivement plus percutant que jamais quant à la réflexion qu’il suggère sur notre monde. Désormais véritable œuvre pour adultes, ce second long métrage bénéficie d’un traitement mature et intelligent, qui ne s’apprécierait surement pas autant si visionné étant plus jeune… C’est tout simplement devenu un incontournable, doublé d’une œuvre atemporelle et presque parfaite. Certaines latence et baisse d’intensité se feront sentir par moment mais globalement Mamoru Oshii nous aura gratifié ici de l’une de ses productions les plus aboutie dans laquelle il propose au spectateur de se remettre en question au point de le faire douter sur le bien fondé d’une société riche, prospère qui en apparence vend du rêve mais asphyxie lentement ses propres sujets…


J'en finis avec Patlabor 2 cependant sachez que je ne me suis attardé ici que sur une partie du film mais il y a encore bien d'autres aspects qui peuvent être développés, ne serait ce que sur le traitement des personnages, ou sur la bureaucratie japonaise déconnecté du réel.


PS : Surtout n'hésitez pas à mettre la main sur Patlabor 1 qui est peut être encore meilleur que le second...

Créée

le 14 mars 2014

Critique lue 1.1K fois

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Saint-Just

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