Perfect Blue
7.8
Perfect Blue

Long-métrage d'animation de Satoshi Kon (1997)

Perfect blue est une leçon de cinéma. Un cas d'école, un des exemples à montrer aux étudiants de la FEMIS. Si la perfection s'affiche dans le titre, elle n'est pas loin de s'appliquer également au film.


Perfect Blue est un film d'une force sidérante car il arrive à développer plusieurs thématiques jusqu'à leur terme avec une des moyens épurés à l’extrême. Satoshi Kon utilise tous ses outils de cinéaste pour bâtir sa cathédrale d'images aux proportions parfaites.


Difficile d'écrire sur ce film tant il est dense, autant sur le fond que la forme. Comme d'autres chefs d’œuvre, il aura besoin de plusieurs visionnages pour être digéré, assimilé. Une œuvre protéiforme, mutante, charnière dans une animation nippone compétitive et plus généralement dans l'industrie du cinéma.


Perfect Blue est un film sur la réflexion et la dualité. Mima, la gentille chanteuse nunuche, pour s'émanciper, quitte le trio du groupe Cham. Trois filles, une chanson, un visage. L’Ambiguïté identitaire s'immisce dès les premières minutes et ne quittera plus le film. Mima, devient actrice, se transforme, son image s'assombrit, elle franchit l'étape enfance/adulte par la sexualité. Viol physique et mental, par un groupe d'hommes sans visages ou un photographe au regard tronqué, cyclope à l’œil d'objectif photo.


L'image de soi, l'identité, la place de l'image dans la société moderne, l’aliénation, autant de thèmes que Kon arrive à traiter avec maestria, les imbriquant les uns aux autres, jouant avec le rythme, les contrastes, les flashbacks, les boucle temporelles, les reflets, les couleurs etc... La grammaire de Satoshi Kon est complexe mais d'une fluidité cristalline. Il y a une telle richesse créative que chaque scène regorge de subtilités qu'il est difficile d'appréhender au premier visionnage. Il y a du Lynch, du Kubrick, du Cronenberg. Une volonté d'efficacité, un art de la concision où rien n'est de trop, comme une perle qui arrive à maturité après le dépôt de sa dernière couche de nacre.


La virtuosité du couple montage/narration est impressionnante. Il faut voir avec quelle aisance les images se mettent aux service de l'histoire, où chaque plan appuie sur un effet précis pour transcender la mise en scène. Les liens schizophrènes entre les différents niveaux du film sont toujours réfléchis, aucun n'est gratuit, le spectaculaire est toujours sous le joug de l'intrigue. Il ressort alors un rare sentiment de cohérence malgré la déstructuration apparente du film. Il existe toujours un lien, même infime, entre Mima, ses reflets, Mimaniac, Rumi, le film Double lien, les meurtres etc...


La frontière entre virtuel et réel est malmenée tout du long, référence à la schizophrénie du métier d'acteur. Un autre paradoxe délectable du film repose sur sa nature même : un film d'animation, d'images animées, qui traite de la distinction entre réel et imaginaire. Qu'est ce qui est réel ou imaginaire dans un film qui n'est composé que de dessin ?


Satoshi Kon est un peintre. Rouge et bleu ressortent de son film comme des lignes tangibles auquelles Mima peut se raccrocher. Comme si le cinéaste s'incarnait lui-même dans le film pour ajouter un autre niveau de réalité.


Mais ce Bleu de la perfection est entaché par une trop grande densité qui ne permet pas d'assimiler la totalité du film en un visionnage. On ne peut pas taxer Satoshi Kon d'élitisme ni d'être un pédant prétentieux. Son film est à son image, généreux, pluriel. Il possède un certains nombre de facettes, un film schizophrène aux multiples personnalités, que l'on pourra regarder chaque fois sous un autre angle. Il y a les films 3D que l'on regarde à travers des lunettes polarisées. Il y a Perfect Blue, un film que l'on regarde à travers un kaleidoscope.


Un voyage dont on ne ressort pas intact.

Créée

le 30 août 2014

Critique lue 1.3K fois

38 j'aime

9 commentaires

Alyson Jensen

Écrit par

Critique lue 1.3K fois

38
9

D'autres avis sur Perfect Blue

Perfect Blue
Sergent_Pepper
8

Harcèle-moi si tu veux

Perfect Blue commence sous les ors du spectacle, la pop japonaise et ses codes si spécifiques : habillées comme des poupées, à la fois petites filles et objets de tous les fantasmes grâce à un...

le 27 mars 2014

172 j'aime

24

Perfect Blue
Strangelove
8

L'école des fans

Satoshi Kon, épisode 2. Après être rentré dans son univers de taré avec son film Paprika (que je recommande chaudement), me voilà déjà lancé dans son premier film, Perfect Blue, qui suit les déboires...

le 11 nov. 2013

84 j'aime

5

Perfect Blue
Velvetman
9

Body double

Premier film de Satoshi Kon, Perfect Blue est un coup de maitre salvateur incarnant les déboires schizophréniques d’une artiste s’enfermant dans une paranoïa destructrice. Mima, belle et jeune...

le 20 janv. 2016

70 j'aime

6

Du même critique

La Horde du contrevent
Alyson_Jensen
9

Le 24ème hordier

# Ajen, lectrice Jusqu'au bout. Je n'ai guère de souvenirs de ma rencontre avec la 34ème horde. Tout était dévasté. Ou en passe de l'être. Oroshi m'expliqua par la suite que nous avions survécu au...

le 16 mai 2017

108 j'aime

13

Everest
Alyson_Jensen
4

Les sous-doués passent l’Everest

Everest, le dernier film de Baltasar Kormakur, nous propose une adaptation du récit de John Krakaueur, Tragédie à l’Everest. Basé sur la catastrophique expédition de 1996 qui coûta la vie à 8...

le 14 janv. 2016

72 j'aime

10

What Remains of Edith Finch
Alyson_Jensen
8

La mort vous va si bien

What remains of Edith Finch se présente comme un simulateur de marche comme il en pleut ces dernières années sur nos machines de bourgeois. Développé par le studio Giant Sparrow, déjà à l’œuvre sur...

le 8 juin 2017

57 j'aime

3