Ce film appartient au genre théâtrale. Une scène devant un public pourrait suffire à imiter ce huis-clos. Pourtant, là où le cinéma apporte quelque chose ici, c'est le décor. Ce décor de rêve, paradisiaque, idyllique et surtout cet espace de liberté infinie et d'expérimentations en tout genre. La plage devient le laboratoire des sens. Le huis-clos devient drame.


Le cadre idyllique


Le paradis perdu semble être un thème cher à Anne Fontaine. Cette dernière nous livre un récit amorale, c'est-à-dire dénué de toute moralité. On n'a ici aucune leçon, aucun jugement. Seulement des rapports entre des êtres, décrits de manière presque ethnologique. Car, la plage est un laboratoire expérimental, où l'on s'observe, dans un jeu à quatre, deux fils et leurs mères respectives. On pensera à tout l'univers autour du paradis perdu, de l'état de nature, thématique chère au 17ème siècle et ses robinsonades - car la cote australienne ici a des allures insulaires avec des interrogations sur la moralité et l'amour (Paul et Virginie). Cette dimension d'amoralité est d'ailleurs renforcée lorsqu'une mère dit à l'autre : "ce sont des dieux". Les quatre protagonistes sont donc dans un Eden, à l'abri de tout, hors de la réalité, hors du temps. Le temps, une dimension d'ailleurs particulièrement gommée dans le film. Au final, le temps échoue à séparer ces êtres. Par un jeu d'ellipse au début du film, on voit les femmes puis les mères, puis les fils grandirent. Puis, tout se fige. Le même lien, des décennies après demeure. Si bien que, lorsque ces femmes sont devenues grands-mères par un coup du sort, elles ne semblent pas faire leur âge. Elles sont toujours aussi minces, sveltes, belles. Elles ne vieillissent pas.


Le drame


Mais le film ne s'arrête pas à la description d'une incestueuse histoire entre des fils et leurs mères. De la même manière que la dimension théâtrale crée un huis-clos, elle crée aussi une dramaturgie implacable. Elle continue de faire sortir de la réalité ces personnages, ces dieux, en leur donnant une dimension tragique très forte, à la manière des héros raciniens. Finalement, ces êtres, ce ne sont pas des hommes, car ils n'arrivent pas à sortir de leur rôle ou à changer leurs sentiments. Poussés par je ne sais quel destin, ils piétinent avec volupté et non sans grâce dans ce huis-clos malsain.
Unité de temps, unité de lieu, unité scénique, le film a tout d'une pièce de théâtre, et même d'une tragédie grecque, car que sont ces êtres si ce n'est deux jeunes éphèbes et leurs muses ? La preuve en est lorsque d'autres personnages font leur entrée de manière presque anecdotique. Ce père par exemple, totalement négligé par sa femme et son fils se voit contraint de partir car s'il ne fuit pas, il sera détruit par ce mouvement irréversible. Cet homme amoureux aussi, qui n'arrive pas à entrer dans le cercle amoureux et qui se retrouve contraint à quitter la scène. Enfin ces deux jeunes femmes, qui parviennent à extraire les deux fils de ce huis-clos avant de se retirer et de tout perdre.


L'amoralité


On a dit beaucoup de chose sur ce film, en particulier sur son immoralité. Mais c'est pour moi tout simplement faux, car Anne Fontaine ne délivre ici aucun jugement. On ne peut qu'admirer et haïr ces héros raciniens, pour leur abnégation et pour leur comportement. A aucun moment il n'est question de les juger ou de les aduler. Le spectateur est le simple témoin et comme dans une pièce de théâtre, la dimension cathartique est forte. C'est à nous-mêmes de s'interroger sur notre propre morale. Au fond, nous sommes les seuls coupables, pris en flagrant délit de fantasme.
La preuve de cette amoralité est finalement le dénouement qui n'en est pas un. La situation reste inchangée. La relation entre les personnages aussi. Là où les héros raciniens meurent, les héros de Anne Fontaine bravent le temps et les obstacles et accomplissent leur destin, bien malgré eux. On ignore s'ils en sont détruits ou s'ils vont en mourir. Ils s'accommodent avec grâce de cette situation et continuent, en bons vivants, à se baigner dans l'eau transparente de cette mer d'Australie, indolents compagnons de plage.


La plage comme laboratoire expérimentale, la plage comme lieu du fantasme et du désir, la plage comme lieu de rêve et échappatoire, la plage comme huis-clos ; un objet idyllique au cœur d'une tragédie qui n'interroge pas tant la moralité que l'irrémédiable puissance des sentiments.

Tom_Ab

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