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On se lance dans Pieces of a woman d’abord pour elle. Pour le sujet aussi, très fort, et pour l’attente qui s’est faite autour de ce film depuis sa présentation à la dernière Mostra de Venise, et pour la somme de talents réunis en un seul film, dont Martin Scorsese à la production, Howard Shore à la musique et le prometteur Benjamin Loeb à la photographie. Mais elle, d’abord pour elle, Vanessa Kirby. Elle qui, quand elle apparaissait à l’écran dans le rôle de Margaret, volait presque la vedette à Claire Foy lors des deux premières saisons de The crown, et qui héritera d’un des plus beaux épisodes, sinon le plus beau, de la série (Beryl).


Pour son premier grand rôle au cinéma après des années de pas grand-chose (si l’on excepte Mission : Impossible - Fallout et un dérivé nanardesque de Fast and furious), Kirby livre une performance exceptionnelle en jeune femme dévastée par la mort de sa fille à peine née. D’ailleurs si l’interprétation de Kirby a été légitimement mise en avant (et récompensée à Venise), il faudrait ne pas oublier celle de Shia LaBeouf, remarquable en mari rongé lui aussi par la douleur et un inéluctable sentiment de perdition. Mais le titre du film mentionne bien une "femme en pièces", et c’est à travers elle, à travers Martha, que Kornél Mundruczó et sa scénariste (et épouse) Kata Wéber vont observer la (une) mécanique du deuil, inspirée directement de la leur.


Une mécanique (et une reconstruction) qui passeront par la parole qu’il faut considérer, braver même, ne pas garder pour soi. Parole avortée dans un couple fissuré (pouvoir parler de la mort d’un bébé), rageuse au sein d’une famille gorgone (pouvoir régler ses comptes) et obligée lors du procès de la sage-femme accusée de négligence lors de l’accouchement (pouvoir dire la/sa vérité). Chacun de ces environnements aura ainsi son "moment", son point de rupture où cette parole manque, explose ou absout, mais révèle les jugements, les chagrins et les personnes. Ce sera ce mari que, à force de silences et d’incompréhensions, on laissera partir ; cette mère dure, ivre de respectabilité et de justice, avouant ne pas avoir été une bonne mère (c’est elle d’ailleurs qui exhortera Martha à s’exprimer pour être en mesure d’aller de l’avant) ; cette accusée enfin dont on dira "ce n’est pas sa faute" parce qu’aucun verdict, aucune sentence ne sauraient défier l’impossible, conjurer l’impensable.


Mundruczó opère une sorte de fragmentation des enjeux et du temps qui passe en opposition à la scène-clé de l’accouchement qui, elle, va s’étendre en un plan-séquence de plus de vingt minutes : unité, contraction de lieu et de temps (la naissance à venir) contre morcellement, implosion du présent (le deuil à surmonter). Au terme de cette scène, il ne restera donc que des lambeaux de Martha saisis au fil des mois et des rencontres, des espaces et d’un Boston gris hiver. Le film la suit dans ce chemin à parcourir vers l’apaisement, un retour vers elle-même, entière, se perd parfois en symboliques simplistes (le pont qui se construit entre deux rives, les pépins de pomme…), mais jamais en pathos, rate son final, étrangement naïf et forcément printanier (= renouveau), mais marque pas mal les esprits, et laissera le souvenir, sûr et certain, d’une actrice en état de grâce.


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mymp
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le 13 janv. 2021

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