"Il n’y a peut-être pas de jours de notre enfance que nous ayons si pleinement vécus que ceux que nous avons cru laisser sans les vivre, ceux que nous avons passés avec un livre préféré. - Marcel Proust, "Sur la lecture" -



Pierre Lapin... à l'évocation de ce nom, remontent des images d'un passé lointain, où je devais avoir 6 ans, images presque d'Epinal du livre de Beatrix Potter avec ses animaux humanisés, images d'ambiance, de lieu, d'une période... J'ai toujours aimé les livres, à cette époque je ne pouvais m'attacher qu'aux illustrés, mais tourner les pages, réinventer les histoires ma passionnait. J'étais la plupart du temps isolé, dans une chambre, parfois au salon quand il était déserté. J'avais reçu au Noël précédent le livre de "Pierre Lapin", immédiatement j'ai été séduit par son graphisme et un peu dérouté du contenu que m'en dévoilait ma mère. Il y avait un saisissant contraste entre les douceurs du trait et parfois la dureté du récit. Epoque innocente, des jeudis (journée libérée d'alors) avec ses matins devoirs et ses après-midi libres dans la campagne aux beaux jours, bien au chaud les deux tiers du temps (Et oui c'est cela le Nooooooorrddd !) Jeux et lectures de droit avant le début des programmes TV pour les enfants à 17h (la 1ère révolution Dorothée n'arrivera que l'année suivante). Et pour faire la liaison, le goûter et son [café au lait], faluche et Pastador


Après ces quelques lignes, le lecteur commence à bien cerner l'affect que je porte aux léporidés si chers à Béatrix Potter... C'est pourquoi un peu par curiosité mais aussi, disons-le pour constater jusqu'à quel point la massacre de l'adaptation s'étendait, je suis allé le voir...


Et là s'est passé une chose étrange, je me suis comme dédoublé. "Pierre Lapin", du début à la fin le film a provoqué chez moi une véritable réaction schizophrénique, tiraillée entre le vieux fond de pépère bougon qui est en moi et le spectateur qui essaie de rester objectif le plus possible.


Pépère bougon : "OMG ! Mais ce lapin c'est celui de duracell qui aurait pris un bain dans les bassins de refroidissement d'une centrale nucléaire ? Il est survolté et totalement déjanté !"


Fritz : "Cela s'appelle un dépoussiérage en règle, le personnage est calé sur le mode de communication matrixée actuelle, ce qui permet également de toucher un plus large public. Les enfants vont adorer, les parents se laisseront avoir à quelques gags..."


Pépère bougon : "Oui mais quand même, il y a quelques côtés malsains ! L'usage de la carotte à des fins de vengeance, Pierre qui se réjouit de la mort du vieux McGregor, la maison dévastée, la violence avec ses coups de râteau, les pièges... Pas sur que le jeune public reçoive les messages objectivement !"


Fritz : "Certes c'est parfois un peu poussé à l'extrême, mais cela reste bon enfant... le coup du râteau était déjà un gag du muet par exemple ! Le personnage de Pierre est espiègle comme un bon petit diable de lapin, mais il va apprendre à en découdre au final..."


Pépère bougon : "Mais le charme, la poésie, la tendresse... tout cela a disparu au profit du grand n'importe quoi, où retrouve t-on les valeurs de l'oeuvre originale ?"


Fritz : "Elles sont autres, masquées mais bien présente, la morale globale est conservée et le message n'est plus suggéré mais jeté à la face du héros qui se rend compte de ses erreurs. Le film se veut résolument moderne et secoue l'oeuvre de toutes ses scories qualifiées de mièvre aujourd'hui. En revanche on y retrouve d'excellentes idées, les intermèdes musicaux des oiseaux, le cochon Robinson devenu un dandy au régime, le coq qui n'en finit pas de s'émerveiller de connaître un jour nouveau, la partie de scrabble (lui est ses mots taciturnes, elle et son côté peace and love) ou la scène du fantôme... L'humour est assez gras mais cela n'empêche nullement de beaux moments d'émotion..."


Pépère bougon : "Ca gesticule dans tous les sens, c'est hyper speed, voire agressif"


Fritz : "C'est un film qui bénéficie d'une très bonne animation, très crédible dans le sens interaction entre personnages animés et acteurs. Il suffit de voir la scène de combat entre Pierre et Thomas, c'est saisissant ! Le côté speed est très marqué dans les film animés Anglo-Saxons actuellement, le public attend cela. S'il avait fallu retourner à une animation plus classique, l'adaptation télé de 2012 se suffisait à elle même..."


Pépère bougon : "L'oeuvre de Béatrix potter est dénaturée !"


Fritz : "Pas sur que l'objectif initial était de la mettre en valeur, c'est bien la trame qui intéressait le réalisateur pour en faire quelque chose de résolument actuel."


Je suis sorti de la salle pour le moins perturbé. De "Pierre Lapin" on ne conserve qu'un vague souvenir, quant au film d'animation s'il est techniquement bien fait il reste un peu lourdingue. La question qui me taraude, et un ami m'en avait déjà fait la remarque, à qui ce film s'adresse t-il ? Pour le très jeune public ? C'est un peu trop "hard" (images et mots). Pour des ados sur le retour ? Il apparaît trop simpliste. Pour un public adulte ? Pas assez subtil. On pourrait peut-être e classer dans l'appellation fourre-tout de public familial, chacun y trouvera un peu de contentement tout en restant déçu. Etrange opération de marketing mais qui sera sans doute rentable rien qu'en produits dérivés !

Fritz_Langueur
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le 1 mai 2018

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