La colonie minière de Sirius 6B est caractérisée par de vastes étendues désertiques, des bases retranchées derrière des murs de béton éventrés et des portes en acier. Dès son ouverture, Planète hurlante matérialise la détresse qu’inspirent les lieux. Un groupe d’individus observe à travers un système de surveillance un messager victime des « hurleurs », des robots autonomes dotés de scies circulaires et réagissant aux pulsations cardiaques. Le décor est planté : si à l’intérieur de l’enceinte, on est condamné à tuer le temps en pariant des cigarettes, à l’extérieur on s’expose à un danger de mort. « Marre de cette planète », précise-t-on d’ailleurs, comme pour dissiper tout malentendu.


Le réalisateur québécois Christian Duguay réalise Planète hurlante en 1995. S’il s’appuie en grande partie sur la nouvelle Nouveau modèle, de Philip K. Dick, il opère néanmoins plusieurs changements majeurs. L’histoire est ainsi délocalisée sur une planète extraterrestre et les enjeux énergétiques y occupent une place de choix. Le bérynium conditionne en effet tout ce qui a préexisté au récit : les mineurs envoyés sur Sirius 6B ont fait sécession quand leurs commanditaires du Nouveau Bloc Économique (NBE) ont décidé de rester sourds aux émanations radioactives mortelles du minerai. Il s’ensuivit une grève de quatre ans, puis, en guise de ripostes, des attaques à la bombe nucléaire et bactériologique, ce qui a contraint les rares colons survivants à se réfugier dans des bunkers…


« On n’avait pas le choix, il fallait les inventer », car « sans les hurleurs, on aurait perdu la guerre ». Nous sommes en 2078 et les robots créés par les colons scientifiques de l’Alliance ont échappé aux fameuses lois d’Isaac Asimov. Visionnaire, Philip K. Dick place en effet au frontispice de sa nouvelle des machines auto-apprenantes, lesquelles finissent par se retourner contre les hommes. La dystopie charpentée par Christian Duguay mêle ainsi aux tensions énergétiques, aux colonies spatiales et à une humanité divisée une menace robotique, des messages hologrammiques et des IA suffisamment « conscientes » pour produire de manière autonome des créatures destinées à tromper la vigilance des hommes – dont des androïdes enfants demandant de l’aide.


En ce sens, Planète hurlante est pourvu d’une densité telle qu’elle explique probablement pourquoi le film est devenu culte après une réception plutôt mitigée en son temps. On peut aussi mesurer sa portée à l’actualité de ses messages (même si, en l’occurence, des films tels que Soleil vert ou Blade Runner, inspiré du même Philip K. Dick, le devancent amplement). On y trouve aussi des échos plus ou moins prononcés aux séminaux Terminator (les robots auto-apprenants et menaçant l’humanité), The Thing (la dualité potentielle de tout individu, les décors polaires, les bases isolées) et surtout Alien. À ce sujet, il est intéressant de noter les ressemblances manifestes entre la typologie de la base de Sirius 6B et celle des colonies humaines de LV-426 dans Aliens, le retour, de même qu’il n’est pas interdit de constater des intentions communes entre la manière de filmer les lieux, les couloirs ou les tuyaux de Christian Duguay, Ridley Scott, James Cameron et même David Fincher. Ajoutons-y les androïdes, les enfants à secourir, l’espace, les slogans publicitaires jouant sur une même terminologie et le scénariste Dan O’Bannon, et la parenté n’en apparaît évidemment qu’accentuée.


Le film de Christian Duguay est certes lacunaire – son rythme languissant, ses pérégrinations répétitives, ses explications trop verbeuses, sa romance superflue, ses effets spéciaux parfois datés… –, mais il propose une vraie réflexion sur l’humanité et ses reliefs (l’abnégation, la nostalgie de la vie sur terre, l’instinct de prédation, y compris écologique…). Il se caractérise aussi par une mise en scène discrète mais astucieuse (avec l’emploi du Steadicam et une vraie science du cadre), quelques tirades mémorables (« Je ne savais pas que Shakespeare existait en BD ») et surtout une association matte painting/design sonore du plus bel effet.


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Cultural_Mind
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le 14 déc. 2021

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