Un hommage à la musique

Que dire de Playtime ? Commençons par l'évidence : ce film est une ode à la musique, une sérénade au rythme. Tous les plans, sans aucune exception, sont minutieusement rythmés, qui par le cliquetis des chaussures à talons de cuir sur un sol trop lisse, qui par le balai métallique des voitures et autres horodateurs dans un Paris trop mécanique. Ce film ne traite pas du rythme, il est rythme : chaque action, chaque situation, chaque mouvement même est rythmé, bien que la caméra reste la plupart du temps immobile. C'est peut-être aujourd'hui ce qu'il y a de plus fascinant, lorsque l'on regarde un film d'action blockbusterisé avec toute matière potentiellement explosive et un montage digne d'un hachoir automatique Découpatator 3000 : qui a décrété qu'il fallait que les plans soient courts et les explosions innombrables pour que le rythme existe ? Monsieur Tati prouve ici, et de manière magistrale qui plus est, qu'il n'y a nullement besoin de tout ceci, puisque le rythme est inhérent au cinéma, inutile de chercher à rajouter des trucs qui font boom et des séquences frôlant la frénésie !

Rythmé, mais calme. Tout est dans la justesse, l'à-propos et le quiproquo. Car non seulement poétique, ce film est drôle, très drôle même, et la minutie du rythme permet un enchaînement presque infini de situations toutes plus cocasses les unes que les autres. Le film ne souffre pas de temps mort, on en arrive même à un stade où l'on attend fébrilement la prochaine farce, tentant de la deviner et toujours surpris du résultat.
Comment ? Le rythme et le rire c'est bien, Laurel et Hardy l'ont déjà fait ? Laissez-moi vous dire que bien que le rythme soit d'abord et avant tout au sein des plans eux-mêmes, il est aussi dans la musique qui nervure le film : tantôt légère et entraînante, balade à l'accordéon, tantôt plus calme, simple air de piano ou encore plus enlevée, jazz on ne peut plus mélodieux, le rythme est partout, tout le temps ; et c'est beau.

Plaît-il ? Vous n'êtes pas convaincu que Playtime est un grand film qui vaut la peine d'être vu ? Vous êtes plutôt du genre satire sociale, critique de la société consumériste et de l'abrutissement des masses ? Ce film traite aussi de cela ! Et pour cause : l'histoire de base est l'incompréhension profonde du vieux Monsieur Hulot (interprété par Jacques Tati himself) du monde ultramoderne, aseptisé et générique qui l'entoure. Encore une fois, tout est dans la subtilité : les publicités des agences de voyages représentent toutes le même building, seule la destination change ; les vrais immeubles historiques supposés attirés les touristes sont réduits à des reflets dans les vitres des immeubles, images bien vites oubliées au profit du béton et du ciment.

Mes qualificatifs s'épuisent à mesure que cette critique s'allonge. Je dirai donc encore ceci : Playtime est un film bienveillant, beau, sans prétention mais porteur d'une poésie, d'une musicalité et d'une fraîcheur des plus enivrantes.

Pour faire court : Playtime c'est bien, c'est beau, c'est drôle, ça parle d'amour, de musique et de bonheur. Même en essayant de faire court, je parviens à faire une phrase à rallonge, ça en dit long sur les innombrables qualités du film. Si avec ça, je ne vous ai pas convaincu, lecteur circonspect, je ne sais plus quoi faire.