Un plaisir éprouvant mais pertinent

L'industrie du porno n'est pas un monde nécessairement féérique. J'espère que vous étiez assis en lisant cette phrase car j’imagine que le choc provoqué par la stupéfaction de cette assertion vous aura coupé le souffle.


Toute ironie mise à part, si le propos général du film n'est pas ce qui surprend le plus, sa démarche, elle, est à saluer. Ninja Thyberg, dont il s'agit là du premier film, a voulu dépeindre l'univers pornographique et l'envers du décors en tâchant d'adopter un regard le plus neutre possible, ou du moins d’éviter une prise de position dénuée de nuance.


La première qualité du film, qui s'avère être paradoxalement l'une de ses rares faiblesses, est le fait d'avoir un point de vue global sur le sujet qu'il entend aborder. De ce fait, l'on assiste à la fois à des séquences où l'héroïne va prendre du plaisir à faire son activité et également d'autres moments bien plus éprouvant où celle-ci va être mise à rude épreuve.


L'avantage d'une telle démarche est que Pleasure ne semble jamais manichéen. Il n'est jamais moralisateur lorsqu'il dépeint les travers de l'industrie et évite également de tomber dans une vision idyllique de la pornographie. L'inconvénient en revanche, est qu'il peut donner la sensation d'être une sorte de catalogue où l’enchaînement des scènes est un prétexte pour remplir un cahier des charges, qui se contenterait d'illustrer différentes situations : la première expérience, le tournage "safe", le tournage "qui se passe mal", le passage en convention, etc.


Toutefois, cette difficulté est très vite écartée par le sincère attachement que l'on éprouve pour le personnage principal. Car la deuxième qualité du film est assurément son personnage central. Pleasure parvient sans mal à nous placer du point de vue de Bella Cherry et nous faire ressentir les sentiments qui l'envahiront tout au long du récit.


Dès les premières minutes du film, où Bella va donc effectuer son premier tournage, l'on éprouve avec elle le stress d'effectuer sa toute première scène, avec en plus une séquence qui dure suffisamment longtemps pour faire augmenter l'intensité du moment.


Évidemment, le passage où le fait de partager le point de vue de l'actrice, sera le plus éprouvant à vivre, intervient lorsque Bella aura à faire ce tournage "qui se passe mal". Entendez par là qu'elle se retrouve forcée à tourner une scène de sexe brutal qu'elle ne souhaite plus faire. A ce moment là elle se retrouve contrainte à tourner cette scène et subi de fait un viol, ni plus ni moins. Sauf qu'il lui est expliqué qu'après tout c'est elle qui a initialement choisi de tourner cette scène, que c’est elle même qui a souhaité que cela soit brutal et que de surcroît il serait inacceptable de perdre de l'argent déjà engagé.


Par ce biais, le film montre explicitement la perversion de ce système qui place les victimes dans une position de fragilité extrême et illustre parfaitement les dominations qui sont exercées. D'autres séquences illustreront les différents aspects pervers de ce monde, notamment une où Bella se trouve à devoir couvrir un agresseur et ainsi trahir son amie, cela afin de ne pas perdre la place qu'elle a pu obtenir.


Une fois encore, le film se garde bien de porter un jugement moralisateur sur ces agissements, mais il dépeint sans détour les effets néfastes de cette industrie. De même, une des qualités du film est de parvenir à illustrer le fait que la problématique ne réside pas tant dans le principe même de la pornographie, mais résulte d’un système de domination patriarcal et surtout capitaliste (la source de tous les maux comme chacun le sait).


En conséquence, de par la pertinence de son propos et de par la caractérisation du personnage central, ainsi que les personnages secondaires bien qu’ils soient un peu plus en retrait, le récit de Pleasure s’avère parfaitement rodé et nous captive sans mal.


En outre, le récit est habilement servi par la mise en scène de Ninja Thyberg. Comme indiqué plus haut, le récit se focalise essentiellement sur le point de vue de son personnage principal. Dès lors, la caméra se place au plus près de Bella, de son environnement, ou bien évidemment de son entourage. L’on notera à cet égard que le film joue énormément sur les regards extérieurs qui sont portés sur les corps des femmes, notamment par le biais des différents objectifs (appareils photos et caméras), sans non plus tomber dans une caricature exagérée et malvenue.


Lors de ces différents instants, la mise en scène s’avère alors très à fleur de peau, se révélant particulièrement sensitive, parvenant tant à capter les moments d’intimité, que la fascination pour ces corps mis à nus et en pleine ébullition. Puis, bien évidemment la réalisatrice parvient à mettre en image ces situations où l’on souhaiterait pouvoir détourner le regard avec une réelle justesse, sans provocation puérile.


En outre, l’action du film se déroulant dans un univers présentant un aspect “bling bling”, il n’échappe pas aux traditionnelles séquences exubérantes et ultra stylisées, avec une surabondance de ralentis. Ces scènes sont utilisées de manière parfaitement cohérentes avec ce que le film entend raconter, et rendent compte des désirs qui animent les différents personnages qui cherchent à percer dans ce milieu. Par ailleurs, ces séquences permettent de créer un contraste avec les instants plus bruts ou plus mélancoliques, ces instants où la réalité surgit à nouveau, cette réalité acerbe, loin des strass et paillettes.


Il y a ainsi un contraste et un jeu de va et vient permanent entre une esthétique "clipesque" et une vision plus naturaliste. Un contraste qui est par ailleurs présent dans l’utilisation de la musique, où les principaux thèmes originaux, composés par Karl Frid, mêlent ensemble des compositions aux intonations christiques avec des sonorités “Hip-Hop” (vous excuserez l’approximation des termes, ma maîtrise des genres musicaux est assez limitée).


Pleasure se révèle donc être d’une très grande maîtrise, qui traite son sujet de manière explicite et sans réserve mais sans qu’il ne fasse preuve d’une irrévérence grossière ou outrancière. Certes, son visionnage s’avère parfois inconfortable, mais assurément l'expérience en vaut le détour.

thedate29
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le 29 oct. 2021

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