S'imprégner du réel sans savoir le filmer (avis à chaud)

Comme ça a été dit partout pendant la promotion du film, Pleasure témoigne d'un véritable travail de recherche sur le milieu de la pornographie, les acteurs sont non-professionnels, l'actrice est éblouissante, c'est un point de vue politique fort sans concession, blablabla. Je ne remets rien de tout ça en question, mais Pleasure est selon moi une déclaration d'intention plus qu'un véritable film abouti. Si le travail de recherche semble effectivement avoir été fait en amont, tout sonne faux.

Le film a le cul entre deux chaises dans son approche de la sexualité, notamment vis-à-vis de son actrice principale. Si je ne dis pas de bêtise, la réalisatrice a fait appel à une doublure, c'est la raison pour laquelle on ne voit rien d'explicite la concernant en plan large. Dès lors, on ne comprend pas vraiment le point de vue adopté : la sexualité y est-elle complètement banalisée ou encore un peu tabou ? On a l'impression que le film se fiche de nous balancer de la nudité frontale, c'est parfois complètement dédramatisé mais il devient pudique dès que l'on s'approche un peu trop près de l'actrice, en témoigne ces scènes de fellation où la caméra s'efforce de cadrer au bord de ses lèvres. L'entre-deux est vraiment incohérent, on dirait que la caméra essaye de nous en montrer le plus possible sans dépasser une certaine limite, mais dans ce cas, pourquoi ne pas filmer de plus loin ? Tout devient forcé, et ce problème s'observe dès la deuxième scène du film avec cet insert inutile sur la jeune femme qui se rase l'entrejambe. Quel intérêt, si ce n'est montrer artificiellement que le film n'aura aucun tabou (ce qui est faux) ?

De même, la mise en scène est trop maniérée pour que je m'y intéresse. Je pense par exemple à cette scène dans la loge avec la Spiegler girl, il y a un jeu de regard avec des miroirs entre les trois personnages mais la mise en scène est trop millimétrée et figée pour qu'elle fasse naturelle. Plusieurs autres scènes ont ce défaut, je pense notamment à ce premier plan sur la coloc qui dort avec son chien, je n'y crois pas une seconde, c'est tout droit sorti d'une comédie américaine. (D'ailleurs, si Bella trouve ce chien ridicule, pourquoi accroche-t-elle sur son mur un poster de chien ?) Beaucoup de plans sont très Seidlien, mais lorsqu'Ulrich Seidl s'intéresse aux mannequins avec son très bon Models, il alterne entre les plans fixes millimétrés et les plans à l'épaule bien plus libres qui lui permettent de laisser l'action se dérouler.

De plus, le film fait parfois un peu amateur, il y a selon moi trois éléments qui ne fonctionnent pas du tout et qui sont typiques d'un premier film :

1) La sur-utilisation de la musique lorsque les scènes peinent à fonctionner.

2) Les plans fixes lors des scènes entre amies. C'est une envie typique de jeune réalisateur, vouloir que les choses se créent devant sa caméra sans que l'on intervienne, mais ça reste trop souvent au stade d'idée car ça demande de très bons acteurs bien dirigés.

3) La fin brusque, idée très théorique selon laquelle lorsque le conflit du personnage principal est résolu, il ne faut pas faire durer le film une minute de plus.

Néanmoins, il faut reconnaître que Pleasure n'est jamais complaisant avec son sujet, et pour un film accessible et clippesque sur le milieu de la pornographique, c'est une réussite. Si l'utilisation de la nudité me dérange par moments, on n'est jamais dans l'optique de choquer gratuitement ou d'en faire un objet pop à la Spring Breakers. De plus, le message est certes assez prévisible, mais parfaitement mis à l'écran. C'est un film qui montre à quel point la notion de consentement est floue dans ce milieu et comment l'industrie peut transformer les gens en agresseurs. Si l'on parle souvent des abus des producteurs ou des réalisateurs, on ne parle pas forcement beaucoup des rapports entre les acteurs eux-mêmes (et encore moins entre les actrices). Ce n'est donc pas aussi attendu que l'on pourrait penser.

Bref, c'est globalement un film assez moyen mais avec un certain capital sympathie, ça a plus de courage que la moyenne et ça reste relativement accessible (tout en étant assez répugnant), donc c'est quand même à voir pour peu que l'on s'intéresse à la sexualité au cinéma.

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le 8 juin 2022

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