Los Angeles,années 80.Richard Chance,un flic excité et hargneux,est prêt à tout pour faire tomber Rick Masters,trafiquant de fausse monnaie avec qui il a un compte à régler.Il va y avoir du sport!Putain,quel pied!Et comment ça tient le coup,34 ans après!A sa sortie,le film n'a pas marché,mais il est devenu culte au fil du temps.Il faut dire qu'il s'agit d'un polar totalement à contre-courant de ce qui se fait généralement,ce qui a sans doute désarçonné le "grand public".En France,le titre passe-partout et ringard n'a pas dû aider non plus.Le titre original,"To live and die in L.A." "Vivre et mourir à Los Angeles",est beaucoup plus parlant et bien meilleur,mais les distributeurs ont peut-être pensé que ça rappelait trop le James Bond "Vivre et laisser mourir".Il s'agit donc d'un film de William Friedkin,d'après un excellent roman de Gerald Petievich,avec qui il cosigne le scénario.Le cinéaste,qui avait inventé le thriller moderne 14 ans auparavant avec "French Connection",fait ici encore plus fort.Sa mise en scène magistrale,digne d'être enseignée dans les écoles de cinéma,a souvent été imitée ensuite pour être rapidement dénaturée.Friedkin nous régale d'un enchaînement ininterrompu de plans mortels,délivrés avec une virtuosité et une fluidité époustouflantes.Il utilise aussi bien la profondeur de champ que l'écran large et change en permanence de point de vue,trouvant systématiquement l'angle juste et la distance idéale.Toute la grammaire cinématographique y passe,de la caméra embarquée à la caméra portée,du plan aérien au plan moyen en passant par de délicieux décadrages.Mieux encore,l'oeuvre n'est pas contaminée par les scories du polar post-moderne,notamment le détestable montage hyper cut.Ici,les scènes d'action sont ultra dynamiques mais parfaitement maîtrisées et lisibles,ce qui permet de savourer le spectacle en toute quiétude,d'autant que des moments plus calmes et des échappées érotiques ou humoristiques viennent de temps à autre alléger une ambiance plus que tendue.A ce propos,le film ne lésine pas sur la nudité des corps,ce qui était habituel dans le ciné européen de l'époque mais nettement moins chez les yankees.Friedkin s'est adjoint le complice idéal en la personne du directeur photo hollandais Robby Müller,l'opérateur attitré de Wim Wenders,qui,s'appuyant sur un magnifique Technicolor,signe une image de folie.Il faut préciser que la ville de Los Angeles,dont on explore tous les recoins,fait partie des vedettes du film.Les aspects contrastés de la cité des Anges sont parfaitement montrés,des quartiers chics rutilants aux entrepôts louches de banlieue,des bords de mer avec palmiers aux hangars paumés dans le désert,des autoroutes surpeuplées aux voies ferrées écrasées de soleil.Et Müller rend justice à tous ces décors en modifiant la texture de l'image quasiment à chaque séquence en fonction de l'endroit filmé et de l'heure qui transforment la qualité de la lumière.On a ainsi de l'image salie au grain seventies,de l'image éclatante de netteté colorée type eighties,de l'image embrumée soulignant la pollution de la ville,et des couchers de soleil d'une terrassante beauté.La musique de Wang Chung,qui pulse grave et est additionnée de morceaux judicieusement choisis,participe également au plaisir du visionnage.Et puis n'oublions pas le travail du directeur des cascades automobiles Buddy Joe Hooker,qui nous gratifie d'une longue et hallucinante scène de poursuite,plus démentielle encore que celle de "French Connection",avec un rodéo à contre-sens sur l'autoroute extrêmement spectaculaire,et garanti sans effets numériques,ça ne se faisait guère à l'époque.Friedkin a été énormément imité dans le genre,et on mesure ici ce qu'un film comme "Drive" lui doit.Seul bémol,les scènes de bagarre,qui sont bidon et horriblement mal branlées.Mais au-delà de cette forme séduisante,"Police Fédérale" développe aussi du fond,toujours en rupture totale avec le cinéma mainstream.Les personnages ne sont pas des héros mais des humains ordinaires coincés dans des situations inextricables qu'ils gèrent au plus mal.Friedkin et Petievich déballent impitoyablement la misère morale d'un monde en perdition en proie aux éternelles addictions toxiques.On retrouve l'atmosphère poisseuse et les personnages borderline des grands polardeux de L.A. comme James Ellroy ou Michael Connelly,mieux que dans les adaptations de leurs romans.L'argent,le sexe,l'amour,l'amitié,la violence,la vengeance dansent un funèbre ballet dont personne ne sortira indemne.Mais les auteurs ne condamnent personne pour autant,même les personnages les plus mauvais.Chacun a ses raisons,et chacun conserve sa part d'humanité.D'ailleurs,on finit par ne plus voir de différence entre les bons ou les méchants,tant les policiers s'enfoncent dans la violence et l'illégalité pour parvenir à leurs fins.On ne peut leur en vouloir du reste,car leur action est bridée par les procédures et le manque de moyens.Nous ne sommes pas dans le polar contemporain,où des héros invincibles et providentiels résolvent tout comme par magie.Au contraire,tout ici va de travers et les protagonistes,qu'ils soient flics,voyous,avocats ou indics,se plantent en permanence et s'enferment dans une tragique spirale d'échecs.Tous les personnages sont ambigus,tout le monde ment,tout le monde tente plus ou moins adroitement de manipuler les autres,mais rien ne fonctionne jamais comme prévu.Les supposés hommes forts de l'histoire se prennent des branlées monumentales et finiront,ce qui est du jamais vu ou presque,par se faire tuer,les opérations foirent lamentablement,les suspects ne parlent pas,les supérieurs n'accèdent pas aux demandes de leurs subordonnés,les enquêtes piétinent,les flics s'endorment au mauvais moment,les cadavres s'accumulent et personne ne ressuscite,bref on est dans le réalisme hard et on évite brillamment toutes les conneries habituelles du cinéma hollywoodien.Et en plus ça ne rigole pas.Les truands ne s'amusent pas à raconter leur vie et s'empressent de dessouder leurs ennemis,fussent-ils flics ou avocats,sans omettre de leur coller quelques bastos dans la tronche pour bien finir le boulot.Film crépusculaire,"Police Fédérale" est le reflet d'une société gangrenée par le matérialisme,l'individualisme,les psychoses obsessionnelles et l'absence de sentiments.Pas de rédemption,pas de morale à deux balles,pas de happy-end,et pas de message d'espoir non plus,on meurt stupidement et ceux qui restent ne peuvent,même s'ils le veulent,s'extraire du piège qu'est leur existence,la conclusion signifiant que l'histoire est un éternel recommencement.C'est interprété par de jeunes comédiens peu connus à l'époque mais dont certains ont fait du chemin.Ainsi voit-on les visages juvéniles de William Petersen,alors jeune et musclé,de Willem Dafoe,à l'allure déjà patibulaire,et de John Turturro,à la présence déjà évidente.En ce temps-là,Petersen aurait pu devenir une star de ciné,car il fut la vedette de deux grands films,celui-ci et "Le sixième sens" de Michael Mann,mais aucun n'ayant marché,il devra attendre bien des années et son rôle de Gus Grissom dans la série "Les experts",pour accéder au vedettariat.Quant à Dafoe en affreux de service,ça parait être un pléonasme aujourd'hui,mais ça l'était moins à l'époque car il n'avait pas encore accumulé des dizaines d'apparitions dans cet emploi.John Pankow en flic hésitant à franchir la ligne rouge et Dean Stockwell en avocat rusé sont très bien,ainsi que le formidable acteur noir Steve James,grand habitué des séries B d'action des années 70-80.Côté filles,il y a la belle rousse Debra Feuer qui joue une nana bisexuelle,ce qui serait banal de nos jours mais était audacieux pour l'époque,et surtout la sublime Darlanne Fluegel,aussi sexy qu'émouvante en prostituée contrainte à servir d'indic à un policier qui en plus de l'exploiter la baise,et dont elle est amoureuse sans que ce soit réciproque.

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le 17 févr. 2019

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