/!\ Cette critique contient des spoilers


Polina est un film d'émancipation. Assez symboliquement on suit le trajet de vie de cette jeune fille/femme qui part du classique, en passant par le contemporain, ici présenté de manière relativement « pure », pour enfin, arriver à trouver un équilibre entre les deux ; synthétiser le tout en une façon de danser qui lui ressemble. Cette dernière forme de danse symbolisant, à mon sens, l'unification des différentes facettes de sa personnalités. Elle se détache de la Polina classique (elle l'énonce d'ailleurs clairement : « la Polina du Bolshoï est morte »), laisse tomber le rôle de cette Blanche neige pure (au propre et au figuré) pour embrasser son côté obscur (oui j'ai vu star wars en début de semaine, ahem). 
Alors que la Polina du début apparaît neurasthénique par moment (lorsque sa mère renverse sa valise notamment). Elle réagit d'une manière certes mature en apparence mais elle semble lisse et sans possibilité d'exprimer son ressenti. C'est d'ailleurs probablement ce qui fait qu'elle s’effondre après avoir été virée de ce cours du professeur qu'elle admire. Sans possibilité d'exprimer ce qu'elle vit à l'intérieur (ni en mot, ni en danse), ça déborde.

Les réalisateurs ne se sont pas contentés de la facilité pour symboliser le moment où elle accueille la part plus agressive d'elle. J'avoue avoir eu peur de la voir se retrouver à danser dans un strip-club, mais ce qu'ils filment est plus subtil. Elle semble d'abord devenir active par le regard, observant les passants, les clients, les bagarres. Pour en décomposer les mouvements et les sublimer par la danse. La Polina s'assombrit, l'agressivité n'est plus retenue à l’intérieur elle s'exhibe, elle rejette ce père qui l'a toujours soutenue et dans un mouvement qui ressemble à une identification à l'agresseur, elle l'abandonne avant un dîner, comme il les a abandonnées, elle et sa mère, quelques années plus tôt.
En choisissant de s'opposer à son père, non pas en reniant ses sacrifices (à lui) mais en poursuivant selon ses propres envies (à elle), et soulignant par la même occasion ses sacrifices (à eux tous finalement), elle parvient à réaliser ce mélange des genres et une Polina adulte, libérée des divers carcans qui l'enserraient depuis ses débuts en classique.


À cet égard il me semble que la comparaison avec l'élan, qui apparaît deux fois, est intéressante. Au début du film l'élan surgit alors qu'elle accompagne son père chasser. Élan imaginaire/symbolique qu'elle est seule à voir. Cet animal qu'elle observe comme fascinée par lui, se couche, dans la neige, semblant abandonner. A contrario, à la fin, on retrouve l'animal qui se tient résolument debout et s'éloigne, calmement, pour sortir du cadre. Telle Polina, soumise aux désirs des autres en début de film, qui, somme toute, crée son propre chemin, au prix d'une certaine dose d'incertitude et de dangers, pour finir par avancer vers l'avenir, confiante.
D'un point de vue plus technique, on peut remarquer deux plans larges absolument magnifiques, (le premier à la chasse justement, le second lorsqu'elle danse sur le port), une certaine symétrie dans le montage apporte un dynamisme au film. J'ai particulièrement aimé le fait qu'il n'y ait pas trop d'explication donnée au spectateur (un narrateur intervient une fois ou deux seulement).
Ses relations aux pères sont intéressantes et presque symétriques encore une fois. D'une part, son père biologique, aimant, qui la pousse lorsqu'elle est enfant, avec son désir à lui de voir sa fille un jour danseuse étoile. Alors que son professeur (le père de substitution, le mentor) se montre tout à fait hautain, cruel par moment, nous faisant nous demander pourquoi elle s'inflige cela ? Pourquoi elle s'accroche à cet homme ? Est-ce pour sa réputation ? Qu'y a t-il dans le regard de cet homme qu'elle veuille à tout prix attraper ? Leur relation est beaucoup plus distante, marquée par l’exigence et l'intransigence d'un professeur de classique « vieux jeu », mais néanmoins emprunt d'amour. Ce professeur qui la pousse à puiser en elle, dans son propre désir, la force de continuer et de se perfectionner toujours plus.
Finalement c'est aussi une histoire d'appropriation de soi, de son désir, un questionnement sur ce qu'on l'on veut vraiment. Le sait-on seulement avant d'y arriver ? À l'évidence on dispose de certains indices. Cette envie, ce besoin (?) de danser semble avoir toujours été en elle, et l'intérêt du film réside dans le fait qu'elle ne subit pas passivement une sorte de destin. Elle semble plutôt se démener pour arriver quelque part, sans trop savoir où, jusqu'au moment où ça y est, c'est là.
QuennyTea
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le 19 déc. 2016

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