Le paysage est magnifique. Des collines verdoyantes où l'on cultive depuis des siècles du thé. Un lieu qui semble préservé du temps...un vrai paradis., Mais la caméra recule laissant découvrir un sac plastique, petite tache dans une harmonie idyllique. Fatih Akin a l'art du résumé, et en une image explique la problématique de son film : la pollution en marche. Le Cinéaste a toujours été balancé entre Allemagne et Turquie, ses deux racines. Et c'est un peu par hasard, sur le tournage de son film De L'autre Côté, qu'il se rendit à à‡amburnu, petite ville Turque de la région de Trazbon baignant sur les rives de la mer Noire. Il apprit alors que ses grand-parents, avant d'émigrer en Allemagne, étaient justement originaires de cette région. Il apprit aussi que cet endroit magnifique était menacé par l'implantation d'une immense décharge d'ordures, installée à ciel ouvert dans une ancienne mine de cuivre. Et dès lors, l'idée de faire un film naît dans la tête du cinéaste allemand. De son propre aveu, Akin ne savait pas vraiment où le conduiraient les premières prises réalisées en 2007, les premières images du site, les premières interviews des habitants.


Le tournage dura finalement cinq ans et Polluting Paradise devint la chronique d'une catastrophe écologique annoncée et le combat de la population locale pour empêcher cela. Ce documentaire a de nombreuses qualités ; Fatih Akin s'étant donné les trois conditions indispensables à sa réussite. D'abord le temps, cinq ans, c'est long et cela permet de suivre sur la durée l'installation de la déchetterie, sa progression et l'accumulation des problèmes générés par elle. Ensuite, le cinéaste a tout de suite conscience justement de la, durée de son, projet, travaillant par ailleurs sur d'autres films plus conventionnels (Soul Kitchen sorti dans l'intervalle) et pouvant raté des événements importants. Fatih Akin a donc donné sa confiance à Bünyamin Seyrekbasan, un photographe amateur local, fortement sensibilisé sur le sujet et clairvoyant sur les dangers futurs de la décharge (dans une interview réalisée au tout début du film, il énumère toutes les catastrophes à venir) : Akin et son équipe ont ainsi formé l'homme à la prise de vue et lui ont laissé une caméra. Le résultat est visible à l'écran : Polluting Paradise est un film exhaustif qui traite en profondeur de tous les aspects de l'affaire : du coup de force des autorités pour imposer le site, à tous les désagréments en surface causés par la décharge, en passant évidemment par la pollution profonde engendrée et l'exode presque forcé d'une partie de la jeunesse, fuyant leur petite région sinistrée. Grâce à son néo-caméraman, Akin est là quand il s'agit de montrer sur le vif le débordement de la décharge à cause de la pluie et de suivre, à chaud, la colère de la population face aux personnels en charge et cette insupportable excuse : on ne pouvait pas prévoir qu'il allait pleuvoir. Enfin, justement - et comme dans tout bon documentaire, le cinéaste s'efface derrière tous les protagonistes de l'histoire, le maire et les habitants de à‡amburnu - Polluting Paradise est aussi un film sur l'engagement citoyen - mais aussi, derrière les responsables de la décharge, les quelques uns, peu nombreux, qui ont accepté de parler et qui, se trahissant eux mêmes, en disent beaucoup sur le cynisme pragmatique des autorités.


A tous ces poins positifs, on pourrait rajouter, les qualités intrinsèques de cinéaste de Fatih Akin, qui, venant de la fiction, porte parfois un beau regard contemplatif sur cette région méconnue de la Turquie. On pourrait aussi parler de la partition musicale magnifique de Alexander Hacke, transcription musicale de la double culture qui anime Fatih Akin. Tout cela fait de Polluting Paradise, un beau documentaire, intelligent et sensible, que l'on pourrait déclarer d'utilité publique et qui, par son discours, va bien au-delà de la seule problématique turque.
http://www.benzinemag.net/2013/05/28/polluting-paradise-fatih-akin/

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le 28 mai 2013

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