Sur une île de Bretagne, en 1770, Marianne, une peintre a pour mission de réaliser le portrait de mariage d’Héloïse. Cette dernière vient de quitter le couvent. Elle refuse de se faire peindre, pour résister au destin de femme mariée qui l’attend. Alors, Marianne doit la peindre secrètement. Se faisant passer pour son amie de promenade, elle la regarde. Ainsi, nous entrons alors dans un jeu de regards, et de désir subtil. Les regards suffisent à exprimer l’attirance inavouée des jeunes femmes. Caractérisée par une ambiguïté constante, et des dialogues brefs mais redoutables, cette projection nous plonge dans une tension bouillonnante. La peintre observe, analyse sa modèle dans l’ombre. Le regard intense de Marianne amplifie cette équivoque. Les mouvements du corps d’Héloïse sont enregistrés. Les plans, serrés et concentrés sur la modèle, nous plongent dans cette analyse, mais aussi dans l’appréciation du corps. Mais ce rapport entre la peintre et sa modèle n’est pas à sens unique. Héloïse observe aussi. Ainsi, nous assistons à une étude de sentiments, on suit le déroulement d’un épanouissement vers l’amour. On a une impression de peinture animée, ce qui apporte une certaine délicatesse au contenu. La splendeur des décors et des costumes nourrit cette idée.
Tout au long du film, une emprise et une soumission des femmes vis-à-vis des hommes est sous-entendue. Mais Céline Sciamma a accompli un parti prix audacieux, puisqu’il y a exclusivement des personnages féminins. Un seul homme apparaît, vers la fin du film, avec un rôle moindre. Sa présence, nous fait remarquer l’absence d’hommes dans ce long métrage. Mais l’objectif de la réalisatrice n’est pas de créer un monde sans hommes. Elle invite le spectateur à observer ces femmes dans leur puissance. Au-delà d’une invitation à repenser le monde, Sciamma fait naître des protagonistes fortes. Les femmes ne sourient qu’au bout d’une heure dix. Elles sont sérieuses, concentrées et solitaires. Cela va à l’encontre des préjugés où les femmes tiennent le rôle d’un objet, d’une figure sexuelle, faite pour plaire. De plus, on ressent un véritable esprit de sororité, les femmes sont entre elles, elles deviennent libres on les regarde s’élever.
Par ailleurs on remarque un rapport à l’art qui est omniprésent dans ce long métrage, qu’il soit littéraire, musical ou pictural.


Venant d’un couvant, Héloïse n’a jamais entendu de musique, excepté les sons d’église. Ces discussions avec Marianne sont touchantes puisqu’on prend d’autant plus conscience qu’Héloïse n’est pas libre, et serait curieuse de découvrir le monde. Adèle Haenel est vue pour la première fois dans un rôle plus fragile, dans un personnage moins robuste et prouve qu’elle peut briller tout en changeant de ses registres habituels. D’autre part, la métaphore constante avec le mythe d’Orphée ajoute une poésie et un rythme au film.
Cette allégorie infuse tout au long du film. Les protagonistes débattent sur l’histoire de ces deux personnages de la mythologie grecque, Orphée et Euridice. Cette légende rappelle l’idée du choix de l’amoureux, avec le souvenir de l’être aimé et perdu à jamais, mais avec un souvenir impérissable. Formant un parallèle constant avec l’histoire des protagonistes, cette poésie soulève un côté philosophique dans cette romance. Sachant qu’elles seront séparées et que leur histoire est éphémère, Héloïse et Marianne choisissent le souvenir éternel et flamboyant de leur liaison. Ainsi, « Portrait de la jeune fille en feu » invite le spectateur sur de nouveaux horizons. Avec un bon casting, un scénario maîtrisé, et un esthétisme hors pair, la cinéaste nous surprend, et nous soumet un nouveau regard.

JuliePifreCampos
9

Créée

le 19 oct. 2019

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