Poucelina
6.1
Poucelina

Long-métrage d'animation de Don Bluth (1994)

Au paradis bleu brodé d’étoiles

Passé un certain age, pour apprécier le visionnage de Poucelina, il faut s'y engager avec son âme d'enfant. Car c'est un conte de fées à l'état pur, qui ne souffre aucun recul critique.


Personnages unidimensionnels, incohérences et improbabilités y sont légion pour peu que l'on s'y attarde plus de dix secondes.


Au-delà de l'aspect nostalgique, la magie régressive de ce film d'animation est bien présente, quel que soit le regard que l'on porte sur ce métrage.


Il y a pourtant un problème : l'approche "conte de fées pur" est ça et là malmenée par certains éléments, dans les dialogues, chansons ou dans la mise en scène qui demandent une suspension d'incrédulité bien différente, avec par exemple des références au monde réel contemporain (notamment chez le personnage du moustique Baltringue - oui, les traducteurs se sont fait plaisir).


Dès lors, lorsque l'on voit un cabaret art déco, qu'on nous parle de "droits", de "police du marais", d'ondes (radio - dans la chanson des crapauds mexicains), du prince qui préfère conduire une abeille plutôt qu'un papillon pour plaire aux filles, que Poucelina appelle à être "réaliste" et "pragmatique" etc etc, c'est-à-dire une approche plus "moderne" à la Disney - autant de facéties que les jeunes spectateurs ne comprendront pas d'ailleurs - difficile de se remettre en mode conte de fées à l'ancienne quand le film repasse sur le créneau "poésie de la Renaissance".


Un regard à peine adulte ne pourra alors passer outre Poucelina qui vient au monde sans se poser de question, l'amour fou après une nuit à gambader dans les marais avec un inconnu, le fait que tout le monde est au courant de tout instantanément, que tout le monde sait où est Poucelina en permanence excepté le prince Cornelius, l'hiver qui ne dure qu'une nuit, etc etc sans parler de la fin qui ne propose aucune explication.


Cette approche contradictoire atteint son paroxysme lorsqu'après avoir été soigné, Jacquimot reste dans son unidimensionnalité vintage d'oiseau magique aux bons sentiments face à une Poucelina au bord d'une crise de nerfs bien trop réelle, sans même entendre cette dernière et en chantant par-dessus ses sanglots. Comme si le conte de fées luttait avec la raison simplement en l'ignorant et en restant sourd aux appels à mettre fin à une une naïve illusion ; une confrontation entre deux visions artistiques du récit, entre les contes d'Andersen et les films de Disney, au sein de la même œuvre ; une confrontation entre l'adulte du 21ème siècle et l'enfant du 19ème.
Même si cela rend le film trébuchant, c'est une approche intéressante, d'autant qu'une trentaine d'années plus tard des films comme Le Retour de Mary Poppins ou Jean-Christiphe et Winnie - ou même Hook à l'époque - portent un message similaire (garder une part de son âme d'enfant, sa capacité à s'émerveiller etc), quoique bien plus explicite et moins arty, poétique et risqué dans sa narration.
On peut aussi mentionner les propos de Farfouine sur le fait que personne (en l'occurence Cornelius) n'est parfait et que Poucelina trouvera quelqu'un d'autre, la femme crapaud qui lui explique que le mariage mène à être femme au foyer et aux charges qui vont avec, ou encore cette pointe de tristesse dans la mélodie de Je serai tes Ailes ; pourtant, face à ces rappels à notre réalité, l'histoire d'amour idéale, parfaite et féérique de Poucelina et Cornelius s'impose contre vents et marées, contre la jalousie et la petitesse des personnages secondaires la rappelant à notre réel.


A cet égard, je me demande si le film s'adresse tant aux enfants, qui se contenteront d'en apprécier la féérie, qu'aux adultes qui de par la réalité des choses en viennent à se la jouer David Goodenough dans tous les aspects de leur vie. On peut toutefois supposer que pour le commun des mortels, suivre les préceptes que semble porter Poucelina mènerait à une explosion du célibat, de la dépression et du suicide.


Parallèlement, le film a vieilli. Certains films d'animation restent conformes à mes souvenirs sur la forme, mais celui-ci a clairement pris un sacré coup et semble avoir dix ans de plus ; même s'il reste très beau.
Les personnages ont à la fois un côté générique et iconique, à l'image de Jacquimot qui au passage a beaucoup de points communs avec le Clopin du Bossu de Notre-Dame.


Ce qui n'a pas vieilli par contre, c'est la B.O. et en particulier la chanson Je serai tes Ailes qui est un véritable chef-d'œuvre et l'une des plus belles chansons de l'histoire des films d'animation malgré ses paroles ultra-fleur bleue.


Je conclurai en disant que Poucelina est un film à regarder en éteignant son cerveau et en ouvrant grand son cœur.

Nevare
8
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le 15 mai 2021

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Nevare

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