On considère parfois, voire souvent, John McTiernan, au-delà de son statut d’auteur reconnu, comme un réalisateur de films d’actions. Certes, la classification semble horriblement réductrice eu égard au parcours de McT, et à sa tendance à constamment naviguer à travers les genres lors de sa carrière de réalisateur (le thriller politique, la barbare fantasy, le fantastique,…), elle n’en reste pas moins juste. Ainsi, les 1er et 3ème volet de la franchise Die Hard, révolutionnant le film d’action chacun à leur manière, font partie des œuvres majeures et emblématique du réalisateur, au même titre qu’un Last Action Hero, astucieuse parodie des Actionners 80’s, révélant au grand jour tous les codes associés au genre pour mieux les détourner. Mais si beaucoup ont tendance à reconnaître en Die Hard premier du nom sa première incursion dans le genre, c’est plutôt sur son film précédent et première production hollywoodienne, Predator, qu’il convient de chercher ce galop d’essai. En effet, c’est véritablement lors de ce film qu’il opérera pour la première fois une démarche de réflexion et de remaniement sur une partie de l’iconographie du film d’action des années 80.


Le major Dutch Schaeffer prend la tête d'un commando chargé de délivrer un groupe de civils américains prisonniers de guérilleros en Amérique centrale. Largués en hélicoptère dans une jungle hostile, ses hommes et lui découvrent des corps de soldats écorchés vifs... avant d'être pris en chasse par une mystérieuse créature.


McTiernan, dans les années 80, c’est avant tout un jeune réalisateur/cinéphile qui tente une première expérience de réalisation avec Nomads, un film fantastique castant Pierce Brosnan dans le rôle principal, avant de se faire repérer par Arnold Schwarzenegger. Ce dernier glissera son nom aux oreilles d’un Joel Silver à la recherche de sang frais pour diriger son prochain projet de film d’action/science-fiction dans la jungle.


Ce projet voit d’abord le jour sur la base d’une simple blague circulant à Hollywood. En effet, après avoir vu un Rocky Balboa gagner la guerre froide à lui tout seul face à un super-boxeur russe dans Rocky 4, De nombreux producteurs et scénaristes plaisantent sur le fait qu’il faudra bientôt se tourner vers les étoiles pour trouver un nouvel adversaire à sa hauteur. Ce qui ne devait rester qu’une simple plaisanterie d’initiés se transformera vite en vivier créatif pour deux frangins scénaristes, Jim et John Thomas, qui pondront rapidement un script sur un extraterrestre prenant en chasse un groupe de bidasses en pleine jungle tropicale.


Il s’agira là d’un postulat scénaristique qui permettra à McT de jouer avec l’image d’Action-Man invincible véhiculée par Shwarzy et sa notoriété grandissante, mais néanmoins déjà bien installé. De fait, après Conan et Terminator, Schwarzenegger peut facilement être perçu comme l’homme le plus fort du monde. Dès lors, quoi d’autre qu’un extra-terrestre pour lui donner du fil à retordre et permettre un minimum d’enjeu narratif.


Il semble cependant vraisemblable que le projet aie bénéficié du succès d’Aliens – qui, à son niveau, mariait déjà les genres – pour oser insuffler un peu de science-fiction dans ce qui ressemble furieusement, au départ, à un pur film d’action. C’est néanmoins le traitement d’une telle note d’intention par McT qui va sublimer le projet. Il va en effet profiter de ce produit hybride pour amener un pur Actionner dans un premier temps, avant de déconstruire certaines de ses caractéristique en profitant du basculement de genre, de l’Actionner vers le Survival, que subit le film en seconde partie. C’est en effet dans cette seconde partie que l’image de dur à cuire associée aux personnages, et à plus forte raison au genre lui-même, va progressivement s’envoler, et dès lors souligner le changement de statut d’un Arnold Schwarzenegger qui devra retrouver son animalité primordiale dans le but de revenir à armes égales face à un ennemi surhumain, un traitement des personnages qui donnera finalement lieu à un duel final d’une ampleur mythologique qu’on ne pouvait clairement pas suspecter en se basant sur le pitch du film.


Niveau réalisation, on découvre déjà ici un McT en pleine possession de ses moyens. Même si il n’en est pas encore à théoriser ses concepts de « caméra expressive » qu’il mettra plus tard en place, notamment dans Die Hard, il utilise déjà très intelligemment sa caméra pour souligner le caractère opaque et menaçant du décor dans lequel évoluent ses personnages, en utilisant notamment un étrange, déstabilisant, et ultra-efficace procédé de « hors-champ dans le champ ». En effet, là où un Alien quelques années plus tôt tendait à suggérer la créature en la plaçant hors-champ et en dévoilant des parties de son anatomie, McT s’amuse à suggérer la présence de la créature à l’intérieur même de son cadre, tout en la gardant invisible. D’où l’accentuation grandissante de la forêt tout au long du film et une narration visuelle tout en profondeur. Un parti-pris esthétique qui tranche violemment avec celle de la séquence d’attaque du village guérilleros – résultat du travail de la seconde équipe de réalisation – beaucoup plus découpée et téléfilmique, et pour le coup parfaitement raccord avec l’esthétique du reste de la production d’action de l’époque.


A cela s’ajoute une caractérisation ultra-efficace des membres du commando, via une description comportementaliste qui fonctionne parfaitement. En effet, 80% des informations nous servant à comprendre les personnages et la façon dont ils s’insèrent dans la dynamique du groupe sont assénées lors de la courte séquence de vol en hélico via quelques gestes et répliques bien pensés. Un autre point fort qui permet au film de rentrer dans le vif de son sujet sans scène d’exposition lourdement descriptive (le commando commence son crapahutage dans le jungle après seulement 10 minutes de film). Un aspect allégé en dialogues superflus qui va admirablement épouser la simplicité du récit mis en image par John McTiernan, une simplicité fort à propos, à la fois pour un film d’action, comme pour un Survival.


En bref, Predator, même avec plus de 30 ans au compteur, reste un pur plaisir cinéphilique, efficace à tous les niveaux, embrassant toutes les caractéristiques du film d’action des années 80 pour les insérer avec efficacité dans un film qui traite intelligemment de la place de ce genre dans la culture populaire. En plus d’être un film remarquable dans sa narration, qui ne s’encombre jamais d’éléments superflus, et qui bénéficie d’une réalisation sur le fil servant admirablement son scénario, il reste également une œuvre qui n’oublie pas qu’après la phase de déconstruction d’une figure ou d’un modèle narratif vient la phase de réassemblage, nécessaire à la consistance de n’importe quelle histoire. Un film dont le blockbuster moderne ferait clairement bien de s’inspirer.

Vinouze
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le 23 oct. 2018

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