Lorsque la sensibilité de Fassbinder rencontre la mythologie godardienne cela donne Prenez garde à la sainte putain : une oeuvre absolument passionnante à suivre, intellectuellement stimulante et plastiquement magnifique. Rainer Werner Fassbinder donne sa version contemporaine en négatif de La nuit américaine de Truffaut ( ce film produit deux ans plus tard dans lequel l'auteur des 400 Coups délivre une vision idéale de la famille du Cinéma et de l'expérience empirique d'un tournage ), optant amèrement pour le portrait d'une équipe technique et artistique tiraillée entre les caprices des uns, l'ennui des autres et les dépendances des uns par rapport aux autres, le tout au coeur du tournage mouvementé d'un film ayant pour sujet principal la violence.


Démonstratif et flamboyant Prenez garde à la sainte putain est un objet filmique tenant de la leçon de pure mise en scène ; comptant pas moins d'une idée par plan cette magistrale mise en abîme renvoie énormément au cinéma de Jean-Luc Godard et à sa période Nouvelle Vague : l'hommage au cinéaste suisse est d'autant plus admirable qu'il était difficilement concevable de s'atteler à un pastiche de son Oeuvre, tant le cinéma de JLG fait figure de monument intouchable. Ici Fassbinder réitère l'humour cocasse, surréaliste et distancié et les conversations multilingues de Pierrot le Fou, l'atmosphère ensoleillée et le canevas narratif du Mépris et certains tics de mise en scène de A bout de souffle... allant jusqu'à exploiter l'icône d'Alphaville en la présence du charismatique Eddie Constantine, qui reprend malicieusement son personnage de Lemmy Caution !


Ludique, dense et remarquablement maîtrisé le film de Fassbinder nous entraîne donc dans un univers regorgeant de tensions, de couleurs et de mouvements. Principalement mobile la caméra accompagne un nombre important de personnages, personnages concernés de près ou de loin par ce tournage voué au fiasco. La lumière de Michael Ballhaus ( qui entreprend l'une de ses premières collaborations avec Rainer Werner Fassbinder, cinq ans avant le ravissant Roulette Chinoise ) passe outre le maniérisme consistant à sublimer ce qui se passe devant nos yeux : froide et colorée la photographie est un petit bijou de pertinence à l'égard du propos. Prenez garde à la sainte putain montre des individus pathétiques sinon grotesques, forcés de composer ensemble pour les lubies d'un réalisateur tout sauf indulgent avec ses partenaires, imbuvable tyran comiquement désapprouvé par un producteur joué par Fassbinder en personne.


Il va sans dire que Prenez garde à la sainte putain demeure tout de même sacrément sous-estimé dans la filmographie de l'auteur du Mariage de Maria Braun et de Despair. Extrêmement référencé ce film brillant et composite détient l'immense mérite d'avoir le courage de se prendre au sérieux tout en cultivant l'ironie et l'amertume dans le même temps. Un véritable chef d'oeuvre.

stebbins
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le 30 juin 2015

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