Printemps tardif est sûrement le film le plus Ozu de tous les Ozu. Une intrigue simple : l'entourage d'une jeune femme la pousse à se marier. Un contexte devenu classique : le Japon d'après-guerre, jonction entre deux mondes en pleine fusion. La caméra fixe, les acteurs face caméra, les dialogues sans communication, les décors familiers qui alternent avec les plans industriels.

Et puis, la précision des relations et des sentiments familiaux, montrée ici dans toute leur beauté, perversité et complexité. Entre la fille qui développe une sorte d'amour semi-altruiste semi-œdipien pour son père, le père qui ment à la fille pour l'inciter à faire ce qu'elle ne veut pas et, au fond, ce qu'il ne veut pas non plus. Le développement ambigu de l'histoire, avec un film sur les premiers frémissements d'un féminisme qui finit sur un mariage arrangé, avec un discours (celui du père) sur l'importance du mariage qui se heurte à la tristesse finale (toujours du père).

Surtout, il y a Setsuko Hara. Enlevez-la du casting, et le film perd la moitié de son intérêt. Pour son deuxième grand film d'après-guerre (après Je ne regrette rien de ma jeunesse de Kurosawa, où elle est déjà excellente), pour son premier de ses 6 films avec Ozu dont elle deviendra la muse, elle est sublime. Elle asperge tout le film de son talent, magnifiée par les plans sur son visage, tour à tour souriant aux éclats, éclatant en sanglots, contenant une colère froide et une inquiétude jalouse qui ne peut se lire que dans ses yeux. La scène de confrontation avec le père à propos de son remariage est probablement le sommet du film, où la peur qui décontenance la fille se heurte au silence tranquille du père, dont on devine déjà les tourments intérieurs. Car il fallait au moins le fidèle Chishu Ryu pour répondre au talent débordant de Setsuko Hara.

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le 11 déc. 2023

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Samji

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