Ce sont les histoires les plus banales qui touchent souvent au cœur même de l’humanité. Belle accroche pour un début d’analyse, c’est ce qui fait vendre. On vous promet beaucoup de choses avec Prisoners. « On touche au Mal, au vrai. C’est dans nos tripes, au fond de nous, la vraie noirceur… » On pourrait continuer longtemps dans ce registre. Effectivement, c’est le cas, mais le film se révèle avant tout être une étude de caractères, en plus de saisir avec intelligence tous les mécanismes psychologiques qui interviennent dans des crises aussi graves qu’un kidnapping d’enfant. Il y a le personnage du père bien sur, quarantenaire rongé par son impuissance, habité d’une fois dure comme le bois qui l’entoure, pressent la Vérité avec une acuité particulière. Mais quand il s’agit d’être sûr, le personnage reproduit le schéma classique, façon les 7 jours du Talion sans l’issue fatale. Avec naturel, le film place toutes les conditions nécessaires pour faire sombrer le personnage, en insistant subtilement sur la facette religieuse du personnage qui vient se poser comme un fardeau supplémentaire, un exhausteur de douleur palpable et parfaitement approprié (pas de twist, c’est avec lui qu’on se prend la claque du film). Le second gros portrait du film est évidemment celui du flic solitaire chargé de l’enquête, qui doit composer avec une enquête assez trouble et le père de famille pestant régulièrement sur la lenteur des investigations des fonctionnaires. Le personnage est pensé pour être attachant, il y parvient gentiment, avec un caractère finalement effacé. Ne vivant que pour son travail, au service d’un shérif adjoint incompétent qui passe son temps à faire des allers et venues entre son bureau, la machine à café et son domicile, il est un solide vecteur d’intégration pour l’enquête, et finalement le véritable « héro » de l’histoire.

Mais il y a le troisième personnage, celui dont on ne parle pas. Le second père de famille dont l’enfant a été enlevé. Sans détour, écrivons-le clairement, le dilemme moral du film commence quand le père d’Anna enlève le premier suspect de l’affaire, étant persuadé de son implication, afin de le torturer tranquillement pour le faire parler. Notre père de famille catho met bien vite au courant le second de son initiative pour lui réclamer son aide. Mais pour ce second père, les doutes sont tels, et la pression psychologique si intense qu’il balance tout à sa femme, et que c’est avec elle qu’ils décident de se taire. Pas d’aider, mais de se taire. Employer le mot « lâcheté » serait faire preuve d’une ignorance totale de la situation, mais cette posture est finalement celle dans laquelle tout le monde se retrouverait. Je veux retrouver ma fille, mais je ne veux pas me salir les mains, car je n’ai pas de certitude et que c’est illégal. Mais tiens-moi au courant quand même. Mais le film ne fait pas un constat aussi arrêté, même si il laisse les éléments pour le faire. Après tout, c’est dans ces incertitudes qu’il trouve la force de son scénario, moins que dans la traque du pédophile. Et si le coupable manque finalement de raisons vraiment matérielles, l’explication, assénée, souligne à quel point le classicisme du scénario fait office de théorème, d’aperçu des différentes postures observables en pareils évènements (y compris donc le statut des victimes qui choisissent de rester à leur place, et finissent comme la cinquantenaire obèse, ancienne mère d’un enfant disparu depuis une vingtaine d’années, se repassant en boucle l’unique vidéo de son enfant sur son divan en mangeant des chips). Mais si le film est dur, il n’en soigne pas moins chacun des personnages, quel que soit son caractère. On peut toujours être cliché et avoir du poids dans l’histoire. Pas vraiment palpitant (à l’exception de quelques bouffées d’adrénalines), Prisoners vaut surtout pour son climat de drame à l’ancienne et pour l’implacable efficacité de son script, qui oublie les références (The Pledge par exemple) en livrant d’excellentes performances d’acteur. Quelques petits raccourcis sur la fin et un happy end de dernière minute, mais ces petites scories ne gâchent en rien le reste d’un excellent polar.

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le 20 oct. 2013

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Voracinéphile

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