Prisoners est typiquement le genre de film donnant la vague impression d'un visionnage antérieur, d'un un réel sentiment de déjà-vu. L'intrigue est d'un classicisme absolu dans l'un des registres typique du thriller hollywoodien, à base d'enfants enlevés, d'enquête policière et de vigilantisme paternel. Se démarquer alors que l'on part avec un tel carcan est une entreprise difficile au vu du poids de ladite chape. Pour donner un intérêt à son film Villeneuve joue sur plusieurs points, et entre l'ambiance, la réalisation, l'interprétation livrée par les acteurs voire même le scénario plutôt astucieux on est plutôt bien servi.


La première chose que l'on remarque c'est l'atmosphère glacée retranscrite à l'écran, avec une palette de couleurs à dominante bleu-gris ainsi-que des sonorités lourdes et oppressantes. L'ensemble de la réalisation est d'ailleurs excellente, avec une mention particulière à quelques jeux d'ombre et de lumière splendides. Le drame qui va se jouer est pressenti dès les première minutes, que l'on connaisse le pitch de départ ou non. L'ambiance transmise est assez inhabituelle pour un film se déroulant dans une banlieue résidentielle américaine, généralement d'apparence plus chaleureuse. Dans American Beauty par exemple la froideur ressort des personnages, pas du lieu. Celui-ci devient inhospitalier par ses résidents alors qu'il apparait initialement comme complètement banal. Pour prendre un exemple plus proche en terme de genre et de thème abordé, le Boston de Mystic River transparait comme morne et triste mais pas aussi austère que dans le film de Denis Villeneuve. Prisoners prend d'ailleurs le contrepied total en instaurant dès le départ un climat radicalement inhospitalier, montré dès la première scène avec une séquence de chasse dans la neige aussi courte que brutale. Le choix d'une saison hivernale pluvieuse est loin d'être innocent et permet à la fois d'offrir une magnifique photographie et une certaine singularité en terme d'ambiance. D'ailleurs les deux familles sont montrée comme sympathiques et plutôt heureuses à l'opposé des portrait maussades du film d'Eastwood et rédhibitoires de celui de Mendes. Finalement c'est le lieu qui est froid, pas les protagonistes.


L'intérêt du film se porte majoritairement sur les interrogations morales qu'il pose. Keller, incarné par Hugh Jackman, le père d'une des fillettes enlevée fait tout pour les retrouver, ne s'imposant presque aucune limite. Certains y ont vu une vision complaisante de l'auto-justice, avec notamment la séquestration puis la torture du principal suspect. J'ai l'impression que c'est loin d'être le cas et que l'on a plutôt affaire à une réflexion sur les limites que l'on peut déterminer à la justification des moyens par la finalité. En clair, jusqu'à où peut-on raisonnablement aller dans une situation aussi critique ? On le voit d'abord se faire littéralement massacrer par un homme brutal en la personne de Keller, l'acteur choisi offrant d'ailleurs une interprétation remarquable à ce père de famille désespéré. Tout cela pour n'aboutir à strictement rien. La violence se révèle donc particulièrement contre-productive. Mais ce n'est pas fini, en désespoir de cause il cloître une douche, y enferme son captif et l'arrose alternativement d'eau brûlante et d'eau glacée tout en lui demandant des aveux. Alors certes le captif va alors craquer mais seulement pour donner des information futiles et inutilisables au prix d'atroces tortures physiques et psychologiques. La torture est montrée comme particulièrement inhumaine et inutile. Le tortionnaire est décrit comme brutal et cruel, bien qu'ayant ses raison et réagissant de la seule manière qu'il connait pour régler ce genre de problèmes : la violence. On a affaire à une réaction de désespoir total face à l'impuissance que le personnage de Jackman peut avoir où toute morale est réprouvée et où seul compte l'obtention d'un résultat. Par cela il est complètement opposé au pragmatisme du père de l'autre fillette, Franklin, qui va le suivre tant que l'espoir raisonnable d'un résultat existe bien qu'il soit révulsé par la méthode utilisée. N'ayant pas la même détermination ni le même jusqu'au boutisme de son ami il va prévenir sa femme Viola qui va se rendre compte tout aussi vite que c'est une cause perdue. Il vont choisir d'y rester extérieurs, dans une ignorance coupable. Viola a également un caractère opposé à Grace, la compagne de Keller. Alors que cette dernière craque psychologiquement, l'autre garde la tête sur les épaules.


Le personnage du policier est également bien fait. Bien qu'il s'investisse énormément dans l'enquête on est loin de l'image du policier clairvoyant qui progresse grâce à des indices et des déductions improbables. Loki se trompe souvent, se laisse embarquer dans des fausses pistes, fait de nombreuses erreurs de jugement, se laisse régulièrement emporter par ses sentiments... Il est montré comme humain et faillible, d'ailleurs il avance parfois dans l'enquête uniquement grâce à des coups de chance et suit fréquemment en retour de nombreuses fausses-pistes. Le coup du "faux-suspect" est par contre un artifice un peu facile utilisé par les thrillers et les séries policières depuis des lustres. Un autre problème est le coup de chance final, l'artifice est vraiment trop gros pour passer. Franchement Loki arrive à la maison du kidnappeur, n'entend personne répondre, entre et tombe sur le kidnappeur en train d'injecter un produit mortel à la fillette. Il intime ensuite au criminel de se rendre, se fait tirer dessus et puis hop, Jake glisse une balle et sauve l'enfant. J'avais bien dit que c'était gros, d'où le jeu de mot douteux en guise de titre sur l'aubaine du bonhomme. Je ne commenterai d'ailleurs même pas le coup du camping-car, outil indispensable à tout kidnappeur d'enfants qui se respecte. À moins qu'ajouté à la tête de dégénéré qu'a Paul Dano dans le film tout cela ne soit qu'une critique des jugements à l'emporte pièce dans la désignation d'un coupable idéal. Cela est toutefois contrebalancé par l'efficacité de la mise en scène et du scénario. En pratique le film marche très bien, usant certes de raccourcis mais gardant une cohérence globale et une certaine fluidité dans son déroulement. En bref on ne s'ennuie pas pendant le film et ce malgré sa longueur.


Reste quelques gros écueils, assez dérangeants. Le premier est toute la justification mystique foireuse finale, fortement nourrie par l'omniprésence du symbolisme chrétien tout au long du film. Que la place importante de la religion dans les communautés de ce type soit représenté ne me pose aucun problème, mais en mettre partout et justifier les agissement des kidnappeurs par une guerre qu'ils mènent à Dieu c'est une ficelle grossière en plus d'être réchauffée. Je ne pourrai même pas donner le nombre d'épisodes de séries que j'ai pu voir utilisant ce type de procédé. Autant l'histoire du prêtre pouvait passer avec une sorte de pendant extrême aux agissements du père accablé, mais là c'est clairement trop. L'autre point noir est le manque d'exploitation de la relation de Keller et de son fils. Alors que l'introduction semblait souligner un développement sur le sujet, celui-ci est aux abonnés absents, les quelques scènes assez convenues où leur rapport est abordé de manière dispensable et succincte mises à part. Mentionnons aussi le subterfuge final, prenant la forme d'une sorte de fin ouverte assez dispensable. C'est juste compliquer artificiellement l'aboutissement du film. Fort heureusement la prestation de Hugh Jackman en père colérique et torturé est séduisante, tout comme celle de Jake Gyllenhaal en enquêteur impliqué et sincère. Les deux acteurs portent littéralement le film sur leurs épaules. Notons aussi la crédibilité de Paul Dano en déficient mental, sa tête s'accordant naturellement avec ce type de rôle.


La réalisation de Denis Villeneuve offre un thriller efficace et percutant. Bien que le film soit doté d'une photographie superbe, on n'évite malheureusement pas certains écueils un peu clichés et quelques incohérences qui ternissent l'ensemble. Le film a néanmoins le mérite de tenir le spectateur en haleine tout le long et d'offrir un fond de réflexion intéressant. Sinon Wolverine et Donnie Darko sont vraiment convaincants dans leurs rôles respectifs et je suis heureux de voir que tout les blacks n'ont pas le "rythme dans la peau", Franklin jouant remarquablement mal de la trompette. D'ailleurs le cliché de l'afro-américain violent est évité voire renversé, la famille de Franklin et Viola étant bien plus stable et soudée que celle de Grace et Keller, dont l'une tombe dans la dépression et l'autre dans la sauvagerie. Au final on obtient un polar sombre, à l'intrigue certes conventionnelle et quelque peu prévisible mais transcendé par interprétation des deux acteurs principaux, un rythme haletant et une réalisation léchée.

Brad-Pitre

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9
6

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