François Leterrier se situe dans un étrange croisement entre différents cinémas. Modèle chez Bresson (Un condamné à mort s’est échappé), alternant projets personnels et commandes (il filmera ensuite Sylvia Krystel dans un de ses Emmanuelle). Le dispositif du film repose sur une malicieuse mise en abyme dans laquelle un cinéaste (Bideau) prépare un film autobiographique. Pour jouer le rôle de sa délicate épouse (Ogier) il choisit, sans aucune ressemblance, la virevoltante Birkin. Pourquoi ? Parce qu’elle le trouble et le charme, parce qu’il n’y aucune raison de ne pas la filmer dès qu’on la regarde rire, bouger, papillonner. Le film met ouvertement en scène le devenir actrice de Jane Birkin au centre du désir masculin. Leterrier la prend telle quelle : il la fait sortir nue d’une piscine en guise d’apparition, nomme son personnage Kate (prénom de l’aînée de Birkin), la fait habiter rue de Verneuil (rue où elle habitait avec Gainsbourg). Au delà du clin d’œil c’est toute la personnalité de l’actrice qui irradie le film. Sa danse en night-club, nonchalants déhanchés en jean moulant sous le regard troublé de Bideau, donne l’impression d’une scène volée, tant elle exprime un art de vivre et un air du temps. Bideau l’énonce clairement, il lui faut dans son film une actrice « simple, jeune, maladroite même, c’est ça mon sujet ». Ce n’est pas que Birkin n’est pas encore actrice, mais plutôt qu’elle ne sait pas encore qu’elle l’est déjà - la voix a des intonations un brin foutraques, alors que le corps est dans un timing parfait. PROJECTION PRIVÉE enregistre ce moment fascinant qui précède l’éclosion d’un savoir. Le jeu de miroirs fonctionne à merveille : Kate (le personnage de Birkin) s’excuse d’avoir été choisie - « Oh c’est lui qui veut, moi je l’ai prévenu je suis pas une actrice » -, mais le désir de Bideau la déplace, la transforme. Elle passe du pris sur le vif à l’écrin du studio, dans des gros plans qui la magnifient. Elle apprend, pose des questions sur son personnage, et glisse de son statut d’objet vers une complicité sororale avec ses supposées rivales Ogier et Fabian. L’intrigue tourne justement autour d’un secret que les femmes sentent ou savent, et le cinéaste non. Filmées séparément, par paires, enfin toutes ensemble, les trois actrices font régner une joie communicative, traversée par un vent de fraîcheur post-68 qui souffle encore, miraculeusement.

LunaParke
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le 4 oct. 2023

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