Promare
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Promare

Long-métrage d'animation de Hiroyuki Imaishi (2019)

Les quelques lignes de présentation du film, si elles amorcent un scénario qui n’est pas dénué d’intérêt, ne sont pas ce qui devrait convaincre le spectateur d’aller le voir. Ce qui devrait le convaincre, c’est le désir de basculer dans un rêve d’animation jubilatoire et audacieux, émaillé de scènes d’action dantesque dans lesquelles on semble se battre aussi bien avec sa force physique qu’avec son style inégalé.


Pas question ici de s’encombrer du réalisme (et moins encore des lois de la physique), car Promare entend bien exploiter jusqu’au bout les opportunités fantasmagoriques de son médium pour se créer une identité unique, glorieusement soulignée par la bande-originale de Sawano Hiroyuki qui tisse l’univers sonore avec un savant mélange de tonalités électroniques, rock et classiques toujours à propos. Cette démarche, poussée à l’extrême, devient une revendication qui dépasse le simple cadre esthétique, puisqu’ici tout est mis au service du sens du spectacle. Il ne faut cependant pas entendre « sens du spectacle » comme dans la première œuvre de divertissement venue qui donnerait au public ce qu’il est venu chercher : il y a ici une véritable quête de forme qui confine à l’expérimental.


Fort de cette hardiesse, Imaishi joue comme nul autre de sa maîtrise du climax, tout à la fois attendu dans son surgissement et subjuguant dans son expression. Dans cette seconde irradiante d’exaltation dans laquelle on voudrait retenir son souffle, on ne le peut car l’on rit, déjà complice, dans l’attente de la claque promise. C’est un pacte toujours rempli, un appel d’air que le feu ne manque jamais de suivre. La satisfaction préexiste à l’action, galvaudante, et n’attend plus que d’être libérée dans la scène qui s’amorce, toute en démesure. On serait tenté de suggérer de « poser son cerveau » face à la vague, tant elle s’appréhende avec les sens et l’instinct, mais ce serait oublier que sa force est aussi de capitaliser sur les attentes et réflexes que notre parcours de spectateur a construits.


A ce titre, si les habitués des shônens seront peut-être avantagés par leur connaissance des codes propres au genre, le caractère universel de la plupart des procédés devrait malgré tout permettre aux novices en la matière d’y trouver (plus que) leur compte. Il est certain, en revanche, que les afficionados de Imaishi auront leur propre plaisir à retrouver leurs repères, puisque Promare s’inscrit entièrement dans la continuité de son œuvre, et lui fait même ouvertement de l’œil. Galo Thymos évoque volontiers, dans son apparence comme sa personnalité, le Kamina tête brûlée de Gurren Lagann, tandis qu’un trio de personnages secondaires se fait l’écho de Gamagori, Inumuta et Jakuzure de Kill la Kill, et est d’ailleurs doublé par les mêmes seiyus (impossible de passer à côté du timbre, reconnaissable entre mille, de Shintani Mayumi)…


Difficile, aussi, de ne pas penser à son moyen-métrage Dead Leaves de 2004. Les deux films ont en effet en commun leur action débridée et leur univers décalé. Pourtant, Promare ressort comme indéniablement plus moderne : l’animation, défaite de ses rudesses cartoonesques, se fait plus fluide, lorgnant parfois du côté des CGI pour mieux entraîner le spectateur dans son tourbillon de métamorphoses, et le dessin, tout en couleurs vives et formes géométriques, prend quelquefois de furieux airs d’art moderne. Sans oublier que l’heure supplémentaire que compte le long-métrage permet au rythme de respirer, évitant ainsi l’effet de saturation nerveuse que pouvait provoquer la plongée en apnée Dead Leaves, et laisse à une trame narrative cohérente la place de se développer.


A cet égard-là – et c’est bien le seul – rien de révolutionnaire : l’univers du film comporte juste ce qu’il faut d’éléments de contexte et de rapports de force pour catalyser l’action, et les retournements de situation de rigueur ne s’inquiètent guère d’être prévisibles. On pourrait juger le critère indifférent, tant il apparaît secondaire au regard de la forme, mais il faut se demander s’il ne contribue pas précisément à son efficacité. En effet, Promare est aussi symptomatique de ce par quoi Kill la Kill s’était déjà distingué avec brio : l’art d’assumer totalement ses propres clichés et de les pousser jusqu’à l’extrême, en allant chercher le second degré sans jamais renoncer au premier. Livrant tout à la fois la satisfaction simple d’un scénario mécanique et l’ironie de sa caricature, il rentre ainsi doublement en connivence avec le public.


Au-delà de l’aspect formel, c’est aussi ici que se ressent le mieux l’évolution de Imaishi au fil des années : là où l’accumulation ad nauseam de deus ex machina simplistes dans Gurren Lagann lassait volontiers, l’autodérision décomplexée que revendiquent ses réalisations sous l’égide de Trigger le garde de toute platitude. Bien sûr, cette autodérision a toujours été présente dans son travail, mais pas dans les proportions burlesques qu’elle prend ici, rendant la dimension réflexive manifeste et lui permettant d’aller chercher plus loin que la clientèle du genre. C’est d’ailleurs peut-être à cela, autant qu’à la solide fanbase qui l’attendait, que l’on doit d’avoir la chance de découvrir Promare en salles aujourd’hui – et la réponse est oui, il prend toute son envergure sur grand écran.


15 années se sont bel et bien écoulées depuis le premier coup de maître qu’était Dead Leaves, et les ambitions de Imaishi ont pris une forme plus digeste, sans rien perdre de leur fougue, de leur humour ou de leur inventivité. C’est particulièrement une bonne nouvelle pour le spectateur « lambda », celui qui n’est pas (déjà ?) accro à la mise en scène explosive et ludique de Kill la Kill, et qui trouvera peut-être ici une porte d’entrée plus accessible vers l'extravagance du réalisateur. Quant à ceux qui sont déjà acquis à sa cause, pourquoi se poser seulement la question ?


[Rédigé pour EastAsia.fr]

Shania_Wolf
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le 3 août 2019

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Lila Gaius

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