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Un plan. Un seau d’eau. Une main qui tord un chiffon. Et ce bruit — frottement, goutte, silence. Propre s’ouvre comme un rituel. Pas un film sur la pauvreté, ni sur le service. Sur la disparition. Dominga Sotomayor Castillo filme le ménage comme une forme de prière : lente, répétitive, invisible. Estela (incarnée par une révélation, Camila Ríos) traverse la maison comme un fantôme. Les couloirs sont clairs, les vitres sans tache, les sols luisent d’un éclat presque clinique. Mais quelque chose colle : la caméra, portée à hauteur d’épaule, semble flotter derrière elle, trop près. On entend chaque respiration, chaque soupir étouffé. Le film n’a pas besoin d’intrigue : il suffit d’observer une femme qui apprend à ne laisser aucune trace. La photographie — signée José Luis Torres Leiva — respire la poussière et la lumière. Un soleil blanc traverse les rideaux, frappe les murs beiges. On croit sentir l’odeur du produit à vitres, le froid du carrelage sous les pieds nus. Le cadre, fixe, laisse souvent les personnages sortir du champ : on reste seuls avec le bruit de l’eau, du vent, des draps qu’on secoue. On dirait que le film veut lui-même devenir propre. Le son est une obsession. Pas de musique, pas de dialogue superflu. Le mixage amplifie le monde : goutte sur métal, verre qu’on repose, souffle qui tremble. Par moments, un aspirateur démarre, avale tout — même la voix d’Estela. Ce silence saturé, Dominga Sotomayor le maîtrise comme une matière dramatique. Dans Propre, le silence n’est pas absence, c’est la preuve qu’on vit encore. Les rares moments de parole tranchent comme des coups de couteau. La patronne (Paulina García) parle doucement, mais chaque mot pèse : « Ici, tout doit briller. » Estela hoche la tête, regarde ailleurs. Dans ses yeux, on lit la fatigue du rôle, celle d’une classe entière condamnée à rendre les autres invisibles à leur propre saleté. On s’attendait à un drame social. On reçoit un film métaphysique. Propre est un miroir froid : celui des vitres qu’Estela astique sans fin, et qui finissent par lui renvoyer son propre visage, déformé, presque dissous. Dominga Sotomayor filme Santiago comme un aquarium. À l’extérieur, le bruit de la ville ; à l’intérieur, la bulle aseptisée des riches. Chaque plan semble désinfecté, chaque couleur contrôlée. Et pourtant, à la fin, un cheveu oublié sur le sol devient une révolte. Dans la dernière scène, Estela regarde la caméra pour la première fois. Un regard sec, nu, presque accusateur. Rien n’est dit, rien n’est résolu. Le monde reste sale. Mais elle, peut-être, s’est lavée de quelque chose. Ma note : 14 / 20
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